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Ainsi « l’ame céleste de l’homme de bien, vivant avec les hommes, reste attachée à son origine, comme le rayon qui nous éclaire n’est pourtant pas séparé de son soleil. Elle tient à Dieu, le regarde, reçoit de lui sa force ; son dieu est son père[1] ; comme lui, elle vit dans une joie que rien ne peut interrompre[2] ; comme lui, elle est heureuse sans les biens de la terre. La richesse, le plaisir, sont-ils des biens, puisque Dieu n’en jouit pas ? »

Que l’homme accomplisse donc sa noble destinée. « Qu’il imite Dieu[3] ! Qu’il crée en lui l’image de Dieu. L’image de Dieu n’est pas d’argent ou d’or. De ces métaux grossiers on ne fera jamais rien qui ressemble à Dieu[4]. Le bien suprême n’est autre chose que la possession d’une ame droite et d’une claire intelligence. Que l’homme souffre avec patience, car Dieu n’est pas pour lui une mère tendre et aveugle, Dieu l’aime fortement, Dieu l’aime en père. Nous regardons avec un certain plaisir d’admiration un brave jeune homme qui lutte avec courage contre une bête féroce. Spectacle d’enfant ! voici un spectacle digne de Dieu, un duel dont la contemplation mérite de le distraire de ses œuvres, l’homme de cœur aux prises avec l’adversité[5]. »

Au moins cette philosophie ne rabaisse-t-elle pas l’homme, au moins a-t-elle le mérite que tant de philosophies n’ont pas eu, de se placer dans le côté de la balance vers lequel notre nature ne penche pas, et de faire contrepoids à toutes nos faiblesses, sur lesquelles d’autres ont trouvé plus commode d’ajouter le poids de leurs doctrines. « Non, Épicure, ne confondez pas la vertu et la volupté : la vertu est quelque chose d’élevé, de supérieur, de royal, d’infatigable, d’invaincu ; la volupté est basse, servile, fragile, misérable ; elle a pris domicile aux tavernes et aux lieux de débauche. La vertu est au temple, au forum, à la curie, devant les remparts, couverte de poussière, le visage enflammé, les mains calleuses ; la volupté se cache, elle recherche les ténèbres, elle habite les bains, les étuves,

  1. Deus et parens noster. (Ep. 110.)
  2. Gaudium quod Deos Deorumque æmulos sequitur, nunquàm interrumpitur. (Ep. 60.) Et saint Paul : Réjouissez-vous toujours ; semper gaudete.
  3. Satis Deos coluit qui imitatus est. (Sénèq., Ep. 95.) — Estote imitatores Dei. (S. Paul, Ephes., V, 1.)
  4. « Te quoque dignum finge Deo. » Finges auteur non auro nec argento. Non potest ex hâc materiâ exprimi imago Dei similis. (Ep. 12.) — « Nous ne devons pas estimer, dit pareillement l’apôtre, la chose divine semblable à l’or, à l’argent, à la pierre, à la matière façonnée par l’art. » (Act. XVII, 29.)
  5. De Providentià, 2.