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REVUE. — CHRONIQUE.

étonnait par momens, on se dirait : C’était comme cela alors. Le genre Régence couvre tout. Le Louis XIV même s’y confond ; pas tant de nuances ; les finesses de ton seraient perdues ; l’optique de la scène grossit. Que l’ensemble remue et vive et amuse, c’est bien assez.

Quoi qu’il en soit, ce genre en vogue, qui contribue à défrayer bien des théâtres, ne s’était pas élevé jusqu’ici à une certaine hauteur, et on n’avait souvenir d’aucune pièce saillante. Les feuilletons de M. Tanin qui y avait poussé plus que personne par ses réhabilitations sémillantes de Marivaux, de Crébillon fils, et qui ne perdait aucune occasion d’en rafraîchir l’idéal, étaient encore ce qu’on en retenait le plus. Le genre régnait ; on ne savait où le prendre. M. Dumas vient de le porter tout d’un coup, de l’élever au niveau du Théâtre-Français, de l’y lancer avec verve et largeur : cela a passé sans faire un pli.

Le genre a fait son entrée dans la personne de son héros le plus légitime et le plus brillant, le maréchal de Richelieu. Nous venons trop tard pour une analyse que toutes les plumes spirituelles ont épuisée : nous n’en toucherons ici que ce qui est nécessaire à nos remarques. L’ouverture de la scène est heureuse et vivement enlevée. La marquise de Prie occupée à brûler les billets galans dont on l’assiége, et plaignant ce bon duc de Richelieu qui arrive sur le fait et lui rend à son tour la moitié de sa pièce : tout cela est engagé à merveille. Il ne s’agissait pas de broncher au début. Le succès de l’air tout entier dépendait de la manière dont on prendrait l’intonation. L’auteur s’est conduit bravement, il est entré in medias res, comme on dit ; il s’est jeté là comme son héros à Port-Mahon. Il y a du coup de tête heureux dans M. Dumas. Une fois le ton pris et accepté et applaudi, le reste passe ; le sujet a beau être scabreux, graveleux même : peu importe ! on a ri dès l’abord, on est aguerri. Molière, d’ailleurs, en son temps, n’était pas si chaste. Il y a telle pièce où il ne fait que retourner d’un bout à l’autre l’éternelle plaisanterie, vieille comme le monde. Aujourd’hui, on ne supporterait plus le mot si franc, si gros ; la chose passe toujours, et d’autant mieux, avec quelque ragoût rajeuni.

Il faut bien se l’avouer, le théâtre comique n’est une école de mœurs qu’en ce sens que, lorsqu’il est bon, il apprend comment elles sont faites, comment ici-bas cela se pratique et se joue. M. de Maistre, qui, dans d’admirables pages sur l’art chrétien, s’est pris à regretter que Molière, avec sa veine, n’ait pas eu la moralité de Destouches, est tombé, contre son ordinaire, dans une inadvertance ; il a demandé là une chose impossible et contradictoire. Qui dit moralité en ce sens, dit peu de rire. Une comédie pourtant qui ne roulerait au fond que sur une certaine plaisanterie physiologique et sur une aventure matérielle, serait classée par là même ; en amusant beaucoup, elle ne passerait jamais un étage secondaire ; un conte de La Fontaine reste un conte, et Sganarelle, bien que né d’un même père, n’est en rien cousin-germain du Misanthrope.

M. Dumas l’a senti ; sa pièce courait risque de n’être que cela. Le duc de