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La question dont il s’agit s’appelle, aux États-Unis, « question des frontières du nord-est » entre le Maine et le Nouveau-Brunswick. L’objet en litige est un territoire de dix mille milles carrés, dont le fleuve Saint-Jean, dans sa partie supérieure, est le principal cours d’eau, pays à peu près désert, mais dont les forêts encore vierges possèdent les plus beaux bois de construction du monde ; et ce sont même des déprédations commises dans ces forêts par des aventuriers américains ou anglais qui ont amené la querelle de juridiction dont j’ai parlé plus haut, entre les gouverneurs du Maine et du Nouveau-Brunswvick. Il paraît, effectivement, que malgré les assertions contraires du ministre anglais à Washington, la juridiction sur le territoire en litige n’a jamais été réglée par aucune convention formelle, et que, jusqu’à présent, elle a été exercée un peu au hasard par celle des deux autorités qui se trouvait le plus à portée de le faire, d’après les circonstances locales. Cette juridiction contestée n’a guère qu’un objet, c’est la conservation des bois comme propriété publique, quel que soit d’ailleurs le propriétaire. Cependant, de part et d’autre, on accorde, avec beaucoup de réserve et moyennant certaines redevances, l’autorisation d’en extraire des quantités plus ou moins considérables, suivant les règles ordinaires en pareille matière. Or, il y a peu de temps, les autorités du Maine ayant appris qu’une bande de pillards commettait de grands dégâts dans ces précieuses forêts, l’agent territorial de l’état fut envoyé à leur poursuite avec une force de simple police suffisante pour arrêter les coupables et mettre fin à ces désordres. Mais le gouvernement du Nouveau-Brunswick prétendit que la juridiction du territoire contesté lui appartenait exclusivement, s’opposa par la force à l’accomplissement de la mission dont l’agent territorial du Maine avait été chargé, et le fit lui-même prisonnier. Quant aux maraudeurs, il déclara que, loin de les prendre sous sa protection, il allait faire instruire leur procès devant les tribunaux de la colonie.

Sur la nouvelle de cette collision, la population du Maine se souleva tout entière : le gouvernement et la législature se prononcèrent avec la même vivacité ; la milice, qui est fort nombreuse, et, dit-on, fort bien organisée, fut appelée en service actif ; on dirigea des troupes, des munitions, de l’artillerie sur la frontière, on vota des fonds pour soutenir la guerre au besoin ; on fit acheter de la poudre dans les états voisins, et tout prit à l’instant un aspect belliqueux. Bien plus, la législature de l’état de Massachusetts, dont le Maine est un démembrement et qui a conservé des droits utiles sur la moitié du territoire en litige, embrassa aussitôt avec ardeur la querelle de l’état voisin, adopta les résolutions les plus vigoureuses, et se mit en devoir de lui prêter main forte, si la guerre venait à s’engager. Il y a dans ces républiques une sève qui effraie. Heureusement que de longtemps encore le désert ne lui manquera pour s’y développer à l’aise. Mais ce désert, il faut aller le chercher au loin du côté de l’ouest. L’état du Maine en voit un sous sa main, il croit y avoir des droits ; il est prêt à tout subir, à tout braver, plutôt que de renoncer à ses prétentions, à l’espoir d’y répandre un trop plein de population qui, s’il n’existe pas encore, se fera sentir un jour, et demandera impé-