Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/265

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
REVUE LITTÉRAIRE.

résigner au bonheur des jours calmes et pareils. L’affection la plus sainte, le dévouement le plus complet ne suffit pas à la contenter, car elle ne veut pas seulement se sentir aimée ; elle veut être émue, et, pour satisfaire cette soif impérieuse d’émotion, elle ira tête baissée au-devant du danger. Elle abandonnera sans regret le bonheur qu’elle a sous la main. Son imagination ne parle pas moins haut que son cœur. L’étonnement et l’inquiétude lui sont aussi nécessaires que l’amour. Ce caractère n’a certainement rien de nouveau. Bien des femmes y liront le secret de leur destinée. M. Sandeau a su rajeunir le type de Marianna par des détails pleins de fraîcheur. Sans s’écarter jamais de la vérité, il a idéalisé tantôt avec adresse, tantôt hardiment, les données que lui fournissait l’expérience. Aussi Marianna, quoique unie par une étroite parenté à bien des modèles qui ont passé devant nos yeux, est une véritable création. Sa candeur et sa crédulité nous charment et nous émeuvent, et s’il nous est arrivé de voir et d’étudier des types du même genre, nous trouvons dans Marianna la transformation harmonieuse de nos souvenirs.

M. de Belnave et M. Valtone, conçus aussi simplement que Noëmi et Marianna, ne sont pas dessinés avec une moindre habileté. M. de Belnave, en épousant Marianna, croit que tous ses devoirs se réduisent à l’aimer. Sûr de l’affection qu’il a pour elle, convaincu qu’elle ne peut douter de lui, il ne songe pas à lui prouver les sentimens qui règlent toute sa conduite. Excellent, loyal, mais d’une nature peu expansive, il considère l’empressement et la flatterie comme des enfantillages dignes de pitié, et il croirait insulter sa femme en cherchant à deviner ses caprices. S’il surprend sur le visage de Marianna un nuage de tristesse, il ne l’interroge pas, il n’essaie pas de la consoler, car il a fait pour elle tout ce qu’il peut faire ; il le sait, il ne l’oublie pas un seul instant, et le témoignage de sa conscience le dispense de toute curiosité. Le personnage de M. de Belnave n’est pas moins vrai que le personnage de Marianna. Bien des maris, fermement convaincus de n’avoir rien à se reprocher, et cependant abandonnés, contre toutes leurs prévisions, se reconnaîtront dans M. de Belnave. Ils comprendront, en l’étudiant, qu’il ne suffit pas d’aimer pour être aimé, qu’il faut pour exciter, pour nourrir l’affection, un dévouement ingénieux et qui sache se résigner tour à tour à la vigilance et à l’expansion.

M. Valtone, moins paisible que M. de Belnave, n’est pas moins réservé dans l’expression de sa tendresse. Mais il trouve dans Noëmi une docilité, une résignation, qui ne lui permettent pas d’apercevoir ce qui lui manque pour récompenser dignement l’amour de sa femme. Sous sa rudesse militaire, il cache un cœur excellent ; et prêt à sacrifier sa vie pour Noëmi, récompensé, encouragé chaque jour par un sourire de bonheur, il ne lui arrive jamais de se demander s’il comprend, s’il contente tous les désirs de sa femme.

George et Henri, qui complètent la liste des personnages, sont comme Marianna et Noëmi, comme M. de Belnave et M. Valtone, dessinés d’après des