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SALON DE 1839.

eût-il dans un tableau que la tête de cet enfant à citer, elle suffirait à le rendre remarquable. Mais ici, il n’y a pas un personnage, les ours compris, qui ne soit parfaitement en scène. Jamais je n’ai vu mieux rendre la physionomie, la tournure, le caractère des matelots. On dirait que l’auteur a vécu parmi des baleiniers, et qu’il s’est trouvé à ces terribles rencontres qui nous font frémir quand nous lisons des voyages aux régions arctiques. Les eaux, le ciel, les glaces sont d’une vérité parfaite, et j’ajouterai, d’une bonne couleur, qui n’est point cherchée. Je me permettrai seulement de critiquer l’homme qui, les deux jambes démesurément écartées, s’apprête à frapper un ours de sa lance. Sans doute l’attitude est vraie en soi, car le premier soin d’un matelot qui combat dans une embarcation, c’est de se bien caler, pour assurer son coup et empêcher son canot de chavirer ; mais l’artiste a mal rendu cette position, et ses raccourcis sont tout-à-fait défectueux. Je demanderai encore à M. Biard en quels parages se trouvent des ours blancs aussi nombreux que des lapins dans une garenne. Le capitaine Parry n’en voyait jamais qu’un ou deux à la fois, et une seule de ces vilaines bêtes donnait assez d’affaires à plusieurs chasseurs armés de fusils. Mais la peinture a ses licences, et d’ailleurs tous ces ours sont irréprochables ; je veux dire qu’ils ont l’air horriblement affamé et féroce.

Cette mer, peuplée d’ours blancs, me servira de transition pour passer aux marines, très nombreuses cette année. Les exploits récens des escadres françaises ayant remis l’armée navale en faveur auprès du public, que l’armée de terre préoccupait seule autrefois, la peinture s’est ressentie de ce nouvel enthousiasme aussi bien que la littérature. — Pour les marines, cette année comme les précédentes, M. Gudin tient toujours le premier rang. Il est aussi le plus fécond des peintres de ce genre, car il ne compte pas moins de douze tableaux au salon. Parler de la transparence et du mouvement de ses eaux, de l’élégance de ses bâtimens, de l’exactitude de leurs manœuvres, c’est un éloge banal sur lequel M. Gudin doit être blasé. Je lui reprocherai aujourd’hui la trop grande facilité de son exécution, quelquefois même complètement lâchée. Je le soupçonne de peindre trop vite et trop comme un homme dont la réputation est faite. Toutefois ces critiques ne s’appliquent pas à toutes ses compositions, et je retrouve dans plusieurs d’entre elles la verve et la précision à laquelle il nous avait habitués. Je citerai comme ses meilleurs ouvrages de cette année deux Vues du Tréport, 965 et 966 ; un Combat du chevalier de Forbin, 960, remarquable par un effet d’incendie qui se re-