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SALON DE 1839.

presque à une affectation. L’attitude du saint manque peut-être d’aplomb, et je doute qu’aucun peintre travaille ainsi dans son atelier. Son pied gauche est d’une forme ignoble ; c’est une faute qui frappe tout le monde. Quant à la Vierge, outre qu’elle rappelle par trop la Madone de M. Ingres dans son admirable tableau du vœu de Louis XIII, la couleur en est molle, la forme indécise ; ce n’est pas une lumière divine qui l’entoure, c’est un brouillard blanchâtre peu diaphane. Peindre une apparition n’est pas chose facile, mais j’admets, avec toutes les autorités en pareille matière, que l’on ne doit pas donner à une figure idéale la précision et la solidité d’une créature terrestre. C’est par des artifices de couleur bien ménagés, par des oppositions, et surtout par la légèreté du faire, qu’on peut se tirer, je crois, de la difficulté. Ici la Vierge n’est que voilée par l’interposition d’une vapeur blanchâtre ; mais c’est bien une créature de chair et d’os, de formes même trop humaines à mon goût.

Il n’est pas besoin de lire le mot Rome, après le nom de M. Flandrin, au bas de son tableau qui représente Jésus-Christ et les petits enfans, no 734, pour s’apercevoir qu’il l’a fait en Italie. Ses figures, ses draperies, toute l’ordonnance de sa composition, indiquent un artiste qui travaille entouré des chefs-d’œuvre de l’école italienne. Voilà certainement un ouvrage qui a, comme l’on dit, beaucoup de caractère ; mais est-ce un caractère original ? Nullement ; je ne vois là que des souvenirs bien choisis, mais point d’invention ; la série des gravures de Marc-Antoine nous montrerait les originaux de la plupart des figures groupées sur cette toile. À force d’étudier les maîtres, je crains que M. Flandrin n’ait un peu négligé la nature ; il ne la cherche que de seconde main, dans des copies excellentes à la vérité, et il oublie qu’il faut s’inspirer des grands artistes, mais non pas calquer leurs ouvrages. C’est toujours à la nature qu’il faut en revenir, et c’est avec ses yeux à soi et non avec les lunettes des maîtres qu’on doit l’observer. — Parlerai-je de la couleur de M. Flandrin ? Systématiquement sans doute, il fait tout terne et sale ; il semble avoir horreur de la lumière ; il n’y a pas de blanc sur sa palette. Dans son tableau, les chairs même se détachent à peine en clair sur des draperies de tons rompus et terreux. M. Flandrin a-t-il voulu obtenir tout de suite la teinte que le temps a donnée à certains tableaux dont les couleurs mal préparées ont poussé au noir ? ou bien, le ton conventionnel des fresques qu’il admire a-t-il faussé sa vue au point de lui faire renoncer aux ressources particulières à la peinture à l’huile ? M. Flandrin a