Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
REVUE DES DEUX MONDES.

rien dans le monde grec et romain ne préparait les voies à une réhabilitation de l’homme, chaque jour plus enfoncé dans sa misère, — sur les confins du désert d’Arabie, non loin de l’Euphrate et des frontières de l’empire, dans une subdivision de la province de Syrie, dans un pays sans navigation et sans commerce, sans cesse ouvert aux désastreuses incursions des Arabes, loin des grandes cités intelligentes, Rome, Alexandrie et Athènes, loin du passage de la puissance romaine et des idées qu’elle menait après elle, des Juifs, — non pas des Juifs d’Alexandrie, des Juifs hellénistes, qui lisaient le grec, savaient les philosophes, vivaient en communication avec le monde, non pas même des docteurs de la loi, des Juifs pharisiens qui tenaient le haut bout de la science hébraïque, — mais des Hébreux à peine Juifs, des Galiléens, paysans d’une province décriée à Jérusalem[1], parlant une langue mêlée, gens dont les rares écrits sont pleins de barbarismes[2], gens de cette plèbe sans philosophie (ὁχλος ἀφιλοσοφος) que la sagesse hellénique dédaigne si fort[3], qui certes n’avaient jamais lu Platon, et pour qui tout ce qui s’était pensé en Grèce, à Rome, dans l’Asie depuis trois siècles, tout le passé de l’esprit humain était perdu, qui n’avaient que leur Bible, déjà corrompue par le rabbinisme, tiraillée par les sectes dissidentes, sophistiquée par l’interprétation étroite et vétilleuse des pharisiens ; que de telles gens, le pêcheur Simon, le publicain Matthieu, les pauvres petits mariniers du lac de Génézareth aient retrouvé ou inventé (si toutefois, quand il s’agit de doctrine, l’esprit humain invente jamais) la doctrine, je vais tout dire en un seul mot, la plus contraire, en fait de théologie, à l’incroyance et à l’idolâtrie de leur siècle, en fait de pratique à ses superstitions, en fait de morale à ses mœurs, en fait de philosophie à l’incertitude et au néant de ses idées, c’est en vérité ce que je ne pourrai jamais croire.

Que maintenant ces hommes, après avoir inventé ce révoltant paradoxe, ne l’insinuent pas en secret, ne le glissent pas à l’oreille, ne cherchent pas, pour le faire fructifier, de vieilles femmes ou de faibles esprits qui ont toujours besoin de quelques choses nouvelles à croire, mais qu’ils montent sur les toits pour le crier à tous ceux qui passent ;

  1. De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon ? (Joan., I, 46.) — Le Christ vient-il donc de Galilée ?… Scrutez les Écritures, et vous verrez qu’il ne doit pas s’élever de prophète en Galilée. (VII, 41, 52.)
  2. Ab indoctis hominibus scriptæ sunt res vestræ… barbarismis obsitæ. (Arnobe, I, 39.)
  3. Hommes sans lettres, ignorans (Act. IV, 13). Le païen Celse dit la même chose, (Origen. contra Celsus, I, 26, 62 : ii, 46. — Voir aussi Julien apud Cyrill., VI.)