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MUSICIENS FRANÇAIS.

plus simple de ne pas avoir d’opinion sur certaines choses que de s’en faire une qui pourrait dans la suite contrarier leurs goûts et leurs prédilections. Pour les Italiens, c’est différent. M. Auber a pu aller vers eux tout en restant fidèle à ses habitudes superficielles. Il leur a pris le bruit, cette écume sonore qui monte à la surface, et dont on s’empare sans avoir besoin de plonger au fond des flots, où se cache la perle mystérieuse de Beethoven et de Weber. Du reste, M. Auber n’imite guère l’école italienne que dans ses cavatines, qui ressemblent à toutes les cavatines de Bellini et de Donizetti, avec cette différence pourtant, qu’elles ont moins d’ampleur mélodieuse et vocale, et plus de soin et de recherche dans l’instrumentation. Quand M. Auber veut donner libre cours à son génie, il compose quelque grande scène. Les scènes de folie surtout lui réussissent. Là son personnage se retrouve tout entier ; ces idées d’amour, de mélancolie, de désespoir, qui lui passent par le cerveau dans son délire, conviennent à merveille à tous ces gracieux motifs, venus comme elles sans succession. Il faut dire aussi que M. Auber a des secrets inouis pour trouver entre les phrases qu’il invente les rapports par où elles peuvent se joindre et se grouper, et qu’à force de ménager avec art les transitions, il finit toujours par donner quelque semblant d’harmonie et de spontanéité à cette sorte de composition ultérieure. C’est en attachant ainsi les uns aux autres des fragmens de motifs qu’il a fait la scène de Mazaniello au cinquième acte de la Muette, et d’Albert au quatrième du Lac des Fées, c’est-à-dire deux chefs-d’œuvre de mélodie et d’expression dramatique. Donizetti a suivi cette méthode dans la belle scène d’Ana Bolena. D’après cela, on voit que M. Auber a rendu aux Italiens ce qu’il a pu leur emprunter. L’auteur de la Muette est quitte avec eux.

Ce qui caractérise surtout M. Auber, ce sont les petits chœurs, les chansons, les airs de danse ; là son imagination se donne libre cours, sa verve se répand, la variété de sa fantaisie éclate. C’est dans ces mille choses de la musique, qui vivent d’un souffle ou d’un motif, qu’il faut chercher l’originalité de ce talent, qui n’a que des facettes. Les chœurs ont fait le succès de la Muette, les airs de danse celui de Gustave. Et cependant qui peut dire qu’il n’y ait dans Gustave que des airs de danse ? Vous vous souvenez du trio chez la sorcière, du duo entre Amélie et Gustave au troisième acte, du trio qui suit lorsque le drame se complique par l’arrivée d’Ankastroem. Eh bien ! dites-moi, que souhaitez-vous de plus à ces morceaux, la mélodie ou l’expression ? De laquelle des qualités qui font la grave et sérieuse musique, trouvez-vous donc qu’ils manquent ? On respire dans le troisième acte de Gustave un vague sentiment impossible à décrire, on se laisse aller à cette musique comme à la mélancolie ; elle est si douce, si tendre, si mollement élégiaque ; elle convient si bien à l’ardeur inquiète de cette femme amoureuse et parjure, à l’ivresse de ce roi qui va mourir dans une fête, à la désolation du lieu sauvage où s’accomplissent ces amours pleines de sombres voluptés et de mornes pressentimens !

En général, M. Auber ne semble pas traiter les caractères avec une grande