Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/237

Cette page a été validée par deux contributeurs.
233
MUSICIENS FRANÇAIS.

faite avec toute sorte de petits morceaux d’or et de fragmens de pierres précieuses. On dit que M. Auber s’inspire, en général, fort peu de ses sujets. Ses motifs lui viennent, la plupart du temps, sans qu’il y pense, lorsqu’il se promène à cheval dans le bois. Il rentre chez lui, les note sur un bout de papier, et tout cela trouve sa place un jour dans quelque partition. M. Auber est musicien comme tant d’autres sont botanistes ; il a pour ces petites fleurs écloses au soleil, à la pluie, au vent de l’aurore ou du soir, un herbier au fond duquel il les dépose et les conserve jusqu’au jour où, pour les produire devant le public, il leur donne, à force d’art, une vie nouvelle et factice. Singulier procédé, qui, du reste, peut s’excuser à merveille avec un art aussi vague, aussi indéterminé que celui-là ! En effet, la musique ne sait exprimer que les grandes affections de l’ame. Vous avez beau faire, ce n’est jamais que l’amour, jamais que la mélancolie ou le désespoir ; le fond reste le même, le détail seul varie. Et croyez-vous qu’un musicien qui se sent au cœur la vie mélodieuse, ait besoin pour chanter la joie ou la tristesse, d’avoir sous les yeux quatre pauvres vers mal rimés, et qu’il n’y ait pas dans un rayon de soleil, dans un ciel d’automne, dans certaines dispositions de l’ame, plus de musique et d’inspiration que dans toutes les fantaisies des poètes de l’Opéra ? Au contraire, bien loin de blâmer cette méthode, on ne saurait trop l’encourager, car elle aurait pour résultat de consacrer l’initiative du maître. La musique exhalée du seul sentiment prendrait forme et se développerait en toute liberté ; les paroles viendraient ensuite se soumettre au rhythme, au lieu de l’imposer. Si la musique de M. Auber a tant de légèreté, de grace, d’allure pétulante et vive, c’est à ce procédé qu’elle le doit. M. Auber trouve ses motifs au coin de la rue ou du bois, peu importe ; puis les met en œuvre à ses heures de loisir. Par motif, j’entends cette petite phrase, leste, aimable, ingénieuse, qu’on retient sans peine, et qui, depuis la Bergère châtelaine jusqu’au Lac des Fées, se reproduit sans cesse, changeant d’air et de ton selon les exigences du goût dominant. Le motif, c’est le sang, la vie et l’ame de cette musique ; elle n’existe qu’à la condition qu’il y circule, il va de la voix à l’orchestre et remonte de l’orchestre à la voix. Qui saurait dire combien il en a produit de ces phrases que tout le monde apprend, et qu’on chante partout ? À coup sûr M. Auber a tout autant inventé de petits motifs que Rossini de grandes mélodies. Entre ces deux maîtres, il n’y a pas, je le sais, de comparaison sérieuse possible ; l’un chante et l’autre fredonne. Mais n’importe : leur fécondité les rapproche ; le talent dans sa sphère est aussi prodigue de ses richesses que le génie peut l’être dans la sienne de ses glorieux trésors. C’est là ce qui, à mon sens, constitue l’originalité de M. Auber, et fait, qu’on me passe le mot, son caractère national. Le motif qu’il affectionne tant, et dont il abuse parfois, qu’est-ce donc, sinon cette pointe d’esprit dont on relève toute chose en France, sinon le trait du dialogue de Beaumarchais ?

M. Auber a tant écrit de partitions, qu’il devient presque impossible de les compter. Ce qui vous frappe surtout dans son talent, c’est cette fa-