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Mozart, c’est différent ; les Italiens réclament une part de sa gloire et citent à l’appui de leurs prétentions Zerline, Chérubin, et tant d’autres créations adorables où la vie éclate en gerbes de feu, où les chaudes passions du midi se font jour par mille échappées de lumière. À ce compte, les Italiens pourraient bien avoir raison ; mais, après tout, ce n’est point là un fait qui se discute ; on ne va pas fouiller dans l’œuvre d’un homme comme dans un tas de pièces d’or pour y trouver la monnaie marquée au coin de son pays. Et c’est justement cette variété rayonnante qui fait de Mozart un musicien hors de ligne et l’isole dans sa gloire. Tous le réclament et tous ont des droits égaux à le réclamer, car il n’est Allemand, Italien, ni Français ; il est divin. Qu’on y prenne garde, Mozart ne fonde pas d’école, il marche seul dans l’indépendance de son inspiration ; il n’a rien de ces tours familiers que tout grand maître affectionne et reproduit à certaines heures de lassitude ; il n’a rien de ces formules habiles par où l’élève s’attache à ressembler au maître. À mon sens, c’est une incontestable supériorité que Mozart gardera toujours sur Beethoven, de n’avoir point à répondre dans son Élysée des stupides égaremens d’un troupeau d’imitateurs. Il n’appartient pas à tel individu de dire qu’il a recueilli l’héritage du génie, attendu que cet héritage revient à l’humanité. Or, c’est déjà une tache pour le modèle que l’imitation ; car elle prouve au moins que le maître a mêlé à son œuvre des élémens dont la médiocrité peut s’emparer. Tous les conservatoires du monde regorgent aujourd’hui d’imitateurs de Beethoven. Qu’on dise si pareille chose est jamais arrivée pour Mozart.

À nous Beethoven ! c’est-à-dire l’expression mystérieuse des vagues pensées de l’ame, le développement de l’orchestre aux dépens de la voix, la force, l’abondance, quelquefois aussi la diffusion. Les Italiens ont Cimarosa et Rossini ; la mélodie heureuse et vive qui s’épanche du cœur et roule des larmes dans ses flots, le rhythme fougueux et vainqueur à qui rien ne résiste. Ici la rêverie et les sombres contemplations, les pressentimens et toutes les voix plaintives et désolées de la conscience qui s’éveillent pour chanter en chœur ; là, le rire furieux ou mélancolique : de quelque côté qu’on se tourne, une sensation énervante vous attend. À vous la musique inoffensive, la grace ingénieuse, le don charmant de combiner les notes à souhait pour un plaisir sans travail ni fatigue. Les Allemands en veulent à mon esprit, les Italiens à mes sens ; la musique française n’a point des prétentions si hautes, elle fredonne, elle cause, elle babille comme un oiseau sur sa branche. J’ignore, quand je l’écoute, si c’est mon ame qui se réjouit ou mon corps ; tout ce que je sais, c’est que je passe un moment agréable et que je n’en demande pas plus.

Vous autres Français, vous avez inventé l’opéra comique, et gardons-nous de le dire en souriant, ce genre qui vous appartient en vaut bien un autre. D’ailleurs, il faut bien qu’il ait quelque vie en soi pour résister à toute cette grêle de petits sarcasmes dont les feuilletons désœuvrés trouvent bon de l’assaillir à certains jours. Depuis que vous dites, en France, que l’opéra comique se meurt, combien de sublimes théories n’avons nous pas vu s’éva-