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REVUE DES DEUX MONDES.

victorieuses. Il semble qu’une nouvelle série d’idées encore confuses et impossibles à formuler soit venue interrompre l’unité de votre doctrine. Vous paraissez gêné avec vous-même, et je suis certain d’une chose ; c’est qu’avant peu vous fermerez votre cours sans l’achever, parce que le doute s’empare de vous relativement à votre passé, et peut-être qu’une grande lumière se lève sur vous pour vous révéler votre avenir.

albertus.

J’entends ! Mes élèves doutent de ma loyauté ; ils se demandent si j’ai transigé avec quelque puissance, et ils attendent dans un silence railleur que je leur révèle peu à peu mon apostasie…

hanz.

Ô mon maître ! pour parler ainsi, il faut que vous ayez perdu la noble sérénité de votre ame. Nous vous aimons, nous vous respectons, et nul d’entre nous ne vous accuse. Seulement, nous voyons qu’une secrète inquiétude vous ronge, et nous en souffrons, parce que nous étions habitués à trouver dans vos enseignemens des espérances et des consolations que nous n’y trouvons plus : que deviennent les passagers quand le pilote a perdu sa route parmi les écueils ?

albertus.

Mon ami, nous reprendrons cet entretien ; maintenant laisse-moi seul. Je suis agité en effet, et je ferais peut-être bien de suspendre mon cours. Un monde nouveau s’est ouvert devant moi ; je n’ose encore y pénétrer qu’en tremblant : c’est que je ne peux point y entrer tout seul. Je sais que j’entraînerai à ma suite les esprits qui ont mis leur confiance en moi, et je ne veux point disposer à la légère du dépôt sacré des consciences.

hanz.

C’est un scrupule digne de vous. Je vous laisse, maître ; puissiez-vous retrouver la paix de l’ame !


Scène III.


ALBERTUS.

Qu’il me tardait de me voir seul ! Ah ! celui qui prend sur soi la responsabilité des croyances et des principes d’autrui, celui qui ose se mêler d’enseigner et de diriger d’autres hommes, ne sait pas de quel fardeau il écrase sa vie ! Celui qui fait de la sagesse une profession est bien fou et bien malheureux, quand il n’est pas un vil im-