Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.
208
REVUE DES DEUX MONDES.

pose encore… Caché là, sous ces lauriers-rose, je pourrai la voir et l’entendre à mon aise… Quand elle se croit seule, elle tire de sa lyre des mélodies plus étranges… Ô femme inexplicable ! créature sans égale, ou du moins sans analogue sur la terre ! quel lien mystérieux unit donc ta destinée à celle de cet instrument de musique ? Pourquoi le tiens-tu ainsi embrassé pendant ton sommeil, comme une mère craignant qu’on ne lui ravisse son enfant ? Que tu es belle ainsi, ignorante de ta beauté ! Hélène ! Hélène ! je ne profane point ton chaste sommeil par des regards de convoitise ! Ta forme est belle, à ce que disent les autres ; mais je n’en sais rien. Si j’admire ton front, et tes yeux, et ta longue chevelure, c’est parce qu’à travers ces signes extérieurs, qu’on appelle la beauté physique, je contemple ta beauté intellectuelle, ton ame immaculée. C’est ton esprit que j’aime, ô vierge mélancolique ! c’est lui seul que je veux connaître et posséder. C’est pour m’unir intimement avec lui que je veux pénétrer la langue inconnue par laquelle il se manifeste… La voici qui s’éveille. Elle redresse sa lyre ; elle l’appuie contre son sein… Ses mains languissantes ne touchent point les cordes et pourtant les cordes s’émeuvent, la lyre résonne… Prodige qui échappe à toutes mes recherches !…

(Il se cache. — La lyre résonne magnifiquement.)
l’esprit de la lyre.

Éveille-toi, fille des hommes, voici ton soleil qui sort de l’horizon terrestre. Prosterne ton esprit devant cette parcelle de la lumière infinie. Ce soleil n’est point Dieu, mais il est divin. Il est un des innombrables diamans dont est semé le vêtement de Dieu. La création est le corps ou le vêtement de Dieu ; elle est infinie comme l’esprit de Dieu. La création est divine ; l’esprit est Dieu !

Fille des hommes, je suis une parcelle de l’esprit de Dieu. Cette lyre est mon corps ; le son est divin, l’harmonie est Dieu. Fille des hommes, ton être est divin, ton amour est Dieu.

Dieu est dans toi comme un rayon qui te pénètre ; mais tu ne peux voir le foyer d’où ce rayon émane, car ce soleil de l’intelligence et de l’amour nage dans l’infini. Comme un des atomes d’or que tu vois étinceler et monter dans ce rayon de l’orient, ô vierge ! il faut briller et monter vers le soleil qui ne se couche jamais pour les purs esprits appelés à le contempler.

Fille des hommes, épure ton cœur, façonne-le comme le lapidaire épure un cristal de roche en le taillant, afin d’y faire jouer l’éclat du prisme. Fais de toi-même une surface si limpide, que le rayon de l’infini te traverse et t’embrase, et réduise ton être en poussière, afin