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REVUE DES DEUX MONDES.

hanz.

Ô maître ! pourquoi lui ôter la lyre ? vous allez la tuer. Maître, elle semble morte, en vérité.

albertus.

N’aie pas peur, ce n’est rien. La commotion électrique de la lyre en vibration devait produire cette crise. Carl, Wilhelm, emportez-la, je vous prie. Vite ! place ! place ! qu’on la mette à l’air !

hélène, se ranimant, repousse Wilhelm.

Ne me touche pas, Wilhelm ; je ne suis pas ta fiancée. Je ne serai jamais à toi. Je ne t’aime pas. Tu es un étranger pour moi. J’appartiens à un monde où tu ne saurais pénétrer sans mourir ou sans te damner.

wilhelm.

Ô mon Dieu ! que dit-elle ? Elle ne m’aime pas !

carl.

Hanz l’avait bien dit.

albertus.

Ma fille, vous parlez sans raison, et vous penserez autrement demain. Donnez-moi votre bras, que je vous reconduise à votre chambre.

hélène.

Non, maître Albertus, s’il vous plaît, je n’irai pas. Je sortirai dans la campagne. J’irai voir le lever de la lune sur le lac.

thérèse.

Vous ne parlez pas à notre maître avec le respect que vous lui devez. Revenez à vous, Hélène. Toute la ville vous entend et vous voit.

hélène.

Je ne vois et n’entends personne. Rien n’existe plus pour moi. Je suis seule pour toujours.

albertus.

Hélas ! la crise a été trop forte ! sa raison est perdue… Hélène, Hélène, obéissez-moi ! je suis votre père. Rentrez chez vous.

hélène.

Je n’ai point de père. Je suis la fille de la Lyre, et je ne vous connais pas. Il y a long-temps que vous me faites souffrir en me condamnant à des travaux d’esprit qui sont contraires à mes facultés. Mais vos grands mots et vos grands raisonnemens ne sont pas faits pour moi. Le temps de vivre est venu, je suis un être libre, je veux vivre libre, adieu !…

(Elle s’enfuit à travers le jardin.)
albertus.

Hanz, Wilhelm, suivez-la, et veillez sur ses jours. (Aux autres élèves.)