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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

une bourgeoise.

Ceci sent par trop la sorcellerie. J’ai envie de m’en aller. J’avais toujours soupçonné ce vieux sournois de Meinbaker de s’adonner à la cabale. Il n’allait jamais à l’église, et il était beaucoup trop lié avec maître Albertus, qui lui-même est un…

l’amateur.

Rassurez-vous, madame, il n’y a rien de moins sorcier que cette manière de jouer. Cette lyre est une espèce d’orgue qui est montée comme une horloge, et qui jouera, sans qu’on y touche, tant que la chaîne n’aura pas terminé un certain nombre de tours sur un pivot.

une jeune fille.

Je vous assure, monsieur, qu’Hélène joue avec ses yeux. Tenez, elle pâlit, elle rougit, son œil brille ou s’éteint, et la musique devient lente ou rapide, douce ou bruyante, selon sa volonté. Je crains bien que la pauvre Hélène ne soit ensorcelée.

l’autre amateur.

Comment ! mademoiselle, vous ne voyez pas que ce que vous prenez pour votre amie Hélène est un automate auquel on a donné sa ressemblance ? On dirait d’Hélène, en effet, mais c’est tout simplement une machine, et vous allez la voir s’arrêter. Les yeux sont d’émail et tournent au moyen d’un ressort. La respiration est produite par un soufflet placé dans le corps du mannequin…

les esprits.

Nous t’avons assez parlé. Maintenant, occupe-toi de ta libératrice, songe qu’elle seule peut briser le charme ; c’est à toi de l’instruire et de te révéler à elle, si son intelligence peut s’élever jusqu’à toi.

l’esprit de la lyre.

Eh quoi ! mes frères, déjà ! Que voulez-vous que je devienne sans vous dans mon cercueil d’ivoire ? Que puis-je dire à une fille des hommes ? elle n’entendra pas mon langage. Oh ! je tremble, je souffre, je pleure !

hélène, s’interrompant et se levant avec énergie.

Tu as parlé ? Tu as dit : Je souffre, je pleure ? Qui donc es-tu ?

la jeune fille, à l’amateur.

Voyez si c’est un automate !

albertus.

Hélène, c’est assez ; la lyre a bien parlé, ne poussez pas l’épreuve plus loin. Le son de cet instrument est trop puissant pour des oreilles humaines, il trouble les idées et peut égarer la raison.

(Il lui ôte la lyre.)

hélène.

Que faites-vous ? Laissez, laissez-la-moi. (Elle tombe évanouie.)