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sens de l’ouïe, et ne se fait plus souffrir lui-même de ses exécrables aberrations : ceci est toujours le fait d’une impuissance sans remède jointe à une confiance grossière. C’est un spectacle bien triste pour celui qui d’une main assurée tient la balance de la critique, de voir tant d’avortemens misérables et de honteuses défections. Cette douloureuse expérience nous confirme dans la conviction pénible, mais irrévocable, que l’inspiration n’existe plus, et que nos pères ont emporté dans la tombe tous les secrets du génie. Il ne nous reste plus que l’étude laborieuse et l’examen austère et persévérant des moyens par lesquels ils ont revêtu de formes irréprochables les créations de leur intelligence féconde. Travaillez donc, ô artistes ! travaillez sans relâche, et, au lieu de tourmenter inutilement vos imaginations déréglées pour leur faire produire des monstres, appliquez-vous à encadrer, du moins, dans des lignes pures et régulières, les types éternels de beauté et de vérité qu’il n’appartient pas aux générations de changer. Depuis Homère, toute tentative d’invention n’a servi qu’à signaler le progrès incessant et fatal d’une décadence inévitable. Ô vous qui voulez manier le cistre et la lyre, étudiez le rhythme et renfermez-vous dans le style. Le style est tout, et l’invention n’est rien, parce qu’il n’y a plus d’invention possible.

le peintre.

Voilà un discours magnifique.

Mais tournez-vous, de grace, et l’on vous répondra.
le poète.

Vous qui nous insultez lâchement, vous, impuissant par système parce que vous l’êtes par nature, vous qui nous accusez d’impuissance parce que vous espérez nous décourager et nous faire descendre à votre niveau, prouvez donc que vous êtes capable de produire quelque chose, quoi que ce soit. Faites seulement un vers passable, pour prouver que vous avez étudié la forme. Je vous en défie.

le peintre.

Tracez seulement une ligne avec ce crayon.

le maestro.

Faites seulement un accord avec cette lyre ; c’est là que je vous attends.

le critique.

Les vaines fumées de la gloire sont pour moi sans parfum. Réfugié sur les sommets d’une immuable équité, nourri de joies sérieuses et