Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
REVUE DES DEUX MONDES.

ministres de son intrigue. Les temples sont des lieux de débauche, et Joseph, ce pieux et sévère Israélite, raconte avec indignation à quelles infamies sert le temple d’Isis.

Le polythéisme avait rendu à la société un service tout politique, il avait déifié la chose publique et légitimé le patriotisme. Nous avons dit comment il ne pouvait plus atteindre ce but : pour soutenir encore l’ordre social, il eût fallu qu’il exerçât une action morale et individuelle ; mais le peu de moralité qu’avait en lui l’ancien polythéisme grec, le respect pour les vieillards, la pitié pour les supplians, la fidélité envers les hôtes, tout cela était passé à l’état de pure poésie homérique. La prière ne demandait que les jouissances de la vie ; de la vertu, on en avait toujours trop. — « Donnez-moi la vie et la richesse ; la sagesse, je me la donnerai à moi-même. » Ainsi, puissant comme chose temporelle, impuissant comme morale et comme doctrine, le polythéisme demeurait d’une presque parfaite inanité pour le bien, d’une presque entière inutilité pour l’ordre social.

Aussi les souffrances du monde se multipliaient-elles chaque jour. Ainsi ai-je effleuré sans l’entamer, ce fait immense, l’égoïsme antique avec son cortège, l’esprit d’extermination, l’ilotisme et l’esclavage, les immolations légales et les prostitutions religieuses, les expositions d’enfans, les massacres de captifs, les combats de gladiateurs, les guerres à outrance et les homicides de peuple à peuple. Ainsi, arrivant aux faits particuliers à cette époque, ai-je montré sous Tibère la dissociation générale, devenue le caractère permanent et fondamental de l’empire. Si j’aimais à m’étendre, que n’aurais-je pas à dire ? La peinture de ces mœurs est partout, la facilité du meurtre, l’infamie de la débauche, sont choses que j’ai dites, que je dirai encore, que je rencontre à chaque pas.

Mais remarquez une chose, et voyez comment, selon la loi de progrès, le monde marchait vite : les proscriptions de Sylla sont affreuses, mais des actes de dévouement y relèvent la nature humaine. Les proscriptions d’Antoine et d’Octave sont ainsi racontées : « La fidélité pour les proscrits fut grande chez leurs femmes, médiocre chez leurs affranchis, rare chez leurs esclaves, nulle chez leurs fils ; tant l’espérance, une fois conçue, est impatiente du retard[1]. » Mais les proscriptions de Tibère sont plus affreuses encore : ni de fils, ni même d’esclaves, je ne retrouve plus un trait de dévouement ; Tacite reconnaît à plusieurs reprises cette rupture de tous liens par

  1. Velleius Paterculus, II, 67.