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REVUE DES DEUX MONDES.

cet escalier sacré : les uns s’y cramponnent lentement et péniblement avec les pieds et les mains, d’autres ont des ailes et le franchissent légèrement.

albertus.

Toujours tes métaphores ! Tu veux dire que vous autres artistes vous êtes des colombes, et nous, logiciens, des bêtes de somme. Eh bien ! si le genre humain se compose d’êtres vulgaires, et que les poètes, par une intuition divine, pénètrent dans le conseil de Dieu, qu’ils nous le révèlent, mais qu’ils se fassent comprendre avant tout.

hanz.

Ils vous le disent par toutes les voix de l’art et de la poésie ; mais mieux ils le disent et moins vous les comprenez, car vous fermez vos oreilles avec obstination. Ils ont gravi jusqu’au ciel, ils ont entendu et retenu les concerts des anges, ils vous les traduisent le mieux qu’ils peuvent ; mais leur expression retient toujours quelque chose d’élevé qui vous semble mystérieux, parce que votre organisation se refuse à sortir des bornes de la raison démonstrative. Eh bien ! modifiez cette organisation imparfaite par une attention sérieuse aux œuvres d’art, par l’étude des arts et surtout par une grande et entière adhésion au développement et au triomphe des arts et de la poésie. La philosophie y gagnera ; car, je le répète, elle est autant la fille que la mère de la poésie, et si vous n’aviez pas vu les chefs-d’œuvre de la statuaire antique, vous n’auriez jamais bien compris Platon.

albertus.

C’est que ce sont en effet des chefs-d’œuvre. Nul ne les conteste ; le beau est donc appréciable pour tous.

hanz.

Vous les avez vus sans les bien comprendre ; mais, comme leur perfection était consacrée par l’admiration des siècles passés, vous ne vous êtes pas mis en garde contre l’instinct naturel qui vous révélait, à vous aussi, cette perfection. Cependant il existe, dans les siècles les moins féconds en génies, des hommes capables de succéder à Phidias ; on les méconnaît et on les étouffe. C’est parce qu’on s’est contenté de jeter un coup d’œil sur les œuvres de Phidias, sans croire qu’il fût nécessaire de les étudier. Eh bien ! maître, les dispensateurs de récompenses et de distinctions créés par les princes sont, par nature et par éducation, ennemis du beau. Le devoir du logicien serait de chercher partout le beau, de le découvrir, de le proclamer et de le couronner. En passant à côté de lui avec indifférence, vous faites aux hommes un aussi grand mal que si vous laissiez périr un