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phrases spirituelles : philosophie bien apprise, philosophie de littérateur et d’homme du monde, et, entre autres, de Cicéron, cet homme qui savait si bien les lettres et le monde.

L’épicuréisme lui-même est en décadence. Ce prédicateur du plaisir, qui ne vivait que d’eau et de légumes, Épicure, avait voulu fonder une morale sévère sur une métaphysique qui la soutenait mal. Il donnait le plaisir pour but à l’homme, mais voulait qu’il mît son plaisir dans la vertu. L’inconséquence était trop choquante, ses disciples furent plus logiques que lui : on n’entendit de sa doctrine que le mot de plaisir, et la théologie négative au moyen de laquelle il donnait ce mot comme seul nœud de la vie. On le prit au mot ; on cacha, comme dit Sénèque, les voluptés dans le sein de la philosophie. L’épicuréisme ne fut plus une doctrine, mais un commode et philosophique prétexte pour tous les vices, et, par cela même que ce n’était pas une doctrine, l’école d’Épicure eut plus de disciples qu’aucune autre.

Un homme d’esprit de ce temps nous représente bien cette facile et spirituelle annihilation de la pensée, chez lui d’autant plus piquante qu’elle est plus fine et moins grossièrement avouée, qu’en même temps, par ordre supérieur, il est croyant, religieux, moral, Romain, et vieux Romain, quand il monte sa lyre poétique à un certain diapason officiel. Il est dans la philosophie comme dans la guerre. Après avoir, selon les idées de l’héroïsme antique, tonné contre ces lâches Romains qui, devenus prisonniers des Parthes, ont « vécu et vieilli époux déshonorés de ces femmes barbares, » ailleurs il se rappelle en riant « sa fuite si prompte au combat de Philippes, lorsqu’il jeta peu glorieusement son bouclier[1]. » Dans la philosophie, il en fait autant ; il a une certaine forme de vers avec laquelle il parle en austère Caton, une autre avec laquelle, plus sincère, « pourceau du troupeau d’Épicure, » on le voit mettant une mesure aux plaisirs, juste ce qu’il faut pour les rendre plus piquans ; faisant de la philosophie juste ce qu’il faut pour rejeter toute philosophie ; s’accommodant avec les passions et la conscience de façon que ni l’une ni les autres ne le gênent ou ne troublent sa santé ; faisant provision de courage contre le malheur ; mais surtout, pour quoi que ce soit au monde, ne s’exposant au malheur :

Et mihi res, non me rebus submittere conor.
  1. Relictâ non benè parmulâ.