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REVUE. — CHRONIQUE.

la salle entière applaudissait, les plus illustres personnages de ce temps se pressaient dans sa loge pour lui serrer la main ; et lorsque à la fin, entouré du groupe de ses camarades, il parut pour la dernière fois sur le théâtre de ses triomphes, les bouquets, trempés de larmes, tombèrent à ses pieds. Jamais comédien ne s’était retiré avec tant d’honneur et de gloire ; mais il fallait s’en tenir là. Après ces magnifiques funérailles qu’il avait conduites lui-même, toute résurrection était impossible. Voilà ce que ses amis auraient dû lui faire entendre, en l’invitant à quelque retraite honorée et paisible. Certes, les ressources ne lui auraient pas manqué ; il eût facilement trouvé dans son goût pour la science et les lettres de quoi suffire à ses loisirs. Mais non ; il ne pouvait échapper à cette ambition qui le dévorait, à cet insatiable besoin d’activité qui, l’entraînant hors du cercle de sa famille, malgré ses enfans, malgré lui, sans qu’il ait pu jamais s’en rendre compte, l’a poussé dans l’abîme. À peine sorti de l’Opéra, il rêve une nouvelle vie ; il part. Dès-lors plus de salut ; on sent que la victime se débat sous le coup de la hache. À Bruxelles, à Lyon, à Marseille, il trouve d’affreux échos qui lui renvoient le nom de Duprez. Il se met à chanter, lui aussi, la cavatine de Guillaume Tell. À force d’entendre parler de voix de poitrine, il en veut avoir une, et brise à ce travail sa voix sonore de Robert-le-Diable et des Huguenots. Il part pour l’Italie à l’âge où l’on en revient. Nourrit n’avait aucune des qualités que les Italiens affectionnent. Qu’importe au public de Naples ou de Milan l’expression vraie de la pantomime, la composition du caractère, l’exactitude du costume ? Il lui faut, avant tout, des cavatines, et si vous lui demandez ensuite ses opinions sur la mise en scène, il vous dira qu’il ne se passionne que pour les grands gestes, et que les habits chamois, les bottes à revers et les plumes rouges lui conviennent fort. Nourrit, on le sait, n’était pas l’homme d’une cavatine, mais d’un rôle. Que pouvait-il faire à San-Carlo, abandonné ainsi à lui-même, isolé dans son personnage, entouré de gens qui devaient s’étonner de le voir dépenser en pure perte tant d’énergie et de généreuse inspiration ? Avec les Italiens, on n’est jamais en peine ; ils chantent un air, et tout est dit, tandis qu’avec les accessoires de toute espèce dont se composait son talent, Nourrit ne pouvait se passer d’ensemble. Du reste, il le sentait lui-même aussi bien que personne, et voilà d’où vint son désespoir. À Naples, Nourrit travailla à creuser les registres de sa voix, et l’organe qu’il se composa de la sorte enchantait dans les premiers temps le public de San-Carlo. Mais il n’y a pas d’effort si rude qui dompte la nature, à cet âge surtout, et son ancienne voix finissait toujours par avoir le dessus, au grand désappointement des Napolitains, qui n’en pouvaient aimer le timbre aigu et métallique. S’il eut alors quelques beaux jours, pendant lesquels il put rêver un avenir nouveau, son illusion ne fut pas de longue durée. Il ne tarda pas à voir à quel public il avait affaire, un public qui ne pouvait lui tenir compte ni de son jeu si passionné, ni de son inspiration si fougueuse, ni de l’accent si dramatique de sa voix, et qui, sans égard pour tant de nobles avantages, ne lui ménageait, dans l’occasion, ni la réprimande, ni l’affront. Alors il