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REVUE. — CHRONIQUE.

dispensable de former un ministère provisoire, pour éviter une seconde prorogation, dont les ministres démissionnaires ont avec raison récusé la responsabilité. Des ministres intérimaires, acceptés par les divers partis, ouvriront donc le 4 la session. On cite parmi eux M. Girod (de l’Ain) et M. de Montebello. C’est maintenant à la chambre, en présence de laquelle va se continuer la crise ministérielle, d’y mettre fin. C’est à elle de replacer, par la sagesse de ses votes, les chefs de parti à leur véritable place, de détruire les importances factices, et d’effacer les suites d’une désastreuse coalition. Dira-t-on encore que la couronne veut se soustraire aux conditions du gouvernement parlementaire ? Après avoir consulté la France dans les élections, elle veut consulter la chambre qui est résultée de ces élections, afin qu’il ne reste aucun doute. Si la chambre est de la gauche, comme le disent les organes de M. Barrot, au lieu de disposer du ministère, il pourra le confisquer à son profit ; mais si la chambre est seulement, comme nous le pensons, dans les opinions de la partie la plus modérée du centre gauche, nous espérons que la gauche voudra bien accepter à son tour les conditions du gouvernement constitutionnel, et ne pas refuser le titre de parlementaire au ministère qui se formera dans la chambre même, dût ce ministère tromper les prévisions de la prétendue majorité qui s’attribue jusqu’à ce jour la victoire dans les élections.


ADOLPHE NOURRIT.

La perte que les arts viennent de faire sera vivement sentie, et de tous, on peut le dire ; car, dans cette douleur, les querelles d’école n’ont rien à voir. À quelque opinion qu’on appartienne, on regrettera toujours cet homme intelligent, laborieux, dévoué, honnête, épris jusqu’à l’ivresse des nobles sentimens du cœur et des belles choses de la pensée, qui ne vivait que pour l’œuvre à laquelle il s’était consacré dès ses premiers jours, et que le découragement vient d’abattre aux pieds de la Muse. Certes, si jamais un nom fut populaire en France, ce fut le sien ; jamais le nom d’un chanteur n’était descendu si avant dans le peuple. Tous l’ont entendu, tous l’ont applaudi ; le nommer, c’est réveiller dans l’esprit de chacun les plus beaux souvenirs de l’Opéra ; et cette consécration unanime du succès, il la devait, non-seulement à son talent si élevé, à son intelligence si prompte à saisir les intentions du génie, à sa voix si puissante à les rendre, mais encore à la dignité de sa personne, à la noblesse de son caractère, qui relevait sa profession aux yeux du monde, à cette activité généreuse, à cette fougue sympathique à laquelle il ne faisait jamais défaut, même dans les plus rudes fatigues du répertoire, et qui l’entraînait, au péril de sa voix et de son avenir, partout où il y avait quelque service à rendre, quelque gloire ignorée à produire, quelque hymne patriotique à célébrer. Aussi cette nouvelle a fait sensation ; chacun s’en est ému dans la ville ; au milieu des intérêts si graves qui nous préoccupent, cela seul suffirait pour témoigner à quel point cet homme était affectionné de tous. Qu’on nous permette donc de parler de lui encore une fois ; demain, sans doute, il serait déjà trop tard ; c’est la destinée des co-