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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

patriarche la promesse de ne choisir que des Vénitiens pour chanoines à Sainte-Sophie. Le pape déclara l’engagement illicite, et ordonna qu’il ne fût pas exécuté, sous peine d’excommunication. Une ambassade solennelle fut envoyée à Rome, par le patriarche, pour y porter des réclamations et y demander des conseils sur un grand nombre d’objets. Cependant l’impossibilité de conserver long-temps Constantinople, et d’en faire le centre fortifié d’où l’on devait conquérir la Terre-Sainte, devenait toujours plus grande, si l’on ne recevait pas de l’Occident des renforts considérables. Innocent ne se lassait pas de réclamer de nouveaux secours auprès des princes de l’Europe ; mais les émigrations qui se faisaient en Orient étaient plus funestes qu’utiles au nouvel empire latin. C’étaient des moines quittant leurs cellules, des troupes nombreuses d’ecclésiastiques envahissant les provinces où devait être introduit le rit catholique ; et ce n’étaient pas les plus pieux et les plus purs qui arrivaient : le monde avait le triste spectacle d’une lutte sans fin entre le clergé grec et le clergé romain, entre les laïcs et les prêtres, pour des possessions et des revenus. Innocent, supérieur à toutes ces convoitises, s’attachait à maintenir la justice, à faire tomber la fatale séparation entre les deux églises, à réprimer les abus qui lui étaient dénoncés, comme les excès et l’insolence des templiers, et sa douleur était de ne pouvoir arracher à l’Europe des secours efficaces pour les chrétiens d’Orient.

En France, la lutte contre les Albigeois occupait la noblesse ; l’Espagne combattait comme à l’avant-garde de l’Europe à l’ouest, et l’Angleterre était déchirée par les divisions de Jean-Sans-Terre avec ses barons. Enfin les faibles rois de Jérusalem et de Chypre ne purent pas même rester unis contre les ennemis de la foi chrétienne. Ce n’était déjà plus pour l’Europe le temps des aventures désintéressées, et les hommes positifs du XIIIe siècle n’avaient déjà plus la foi de leurs pères. La religion seule n’était plus assez puissante pour faire traverser la mer aux chrétiens et les échauffer à la conquête d’un tombeau. Aussi, au lieu d’aller à Jérusalem, on s’est arrêté à Constantinople ; ce n’est pas la religion qui prospère, c’est le commerce ; Venise devient l’entrepôt de l’Asie et de l’Europe ; ses flottes sillonneront la mer Noire ; ses marchands s’empareront du commerce de blé, de sel, de fourrures de la Crimée ; ils recevront près de la mer d’Azof les produits du midi de l’Asie ; ils approvisionneront les marchés de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas. Cependant la science aura aussi ses profits ; les trésors de l’antiquité s’épanchent sur l’Europe,