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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

dait le cardinal Lothaire comme plus digne que lui-même du pontificat. Son exemple entraîna Jean de Salerne, qui fit la même déclaration, et tous les cardinaux reportèrent unanimement leurs voix sur un homme de trente-sept ans qui suppléait à l’âge par l’éclat du talent ; c’était bien une élection digne du Saint-Esprit. On assure que pendant la séance trois colombes voltigèrent au-dessus du couvent, et que la plus blanche des trois prit son vol à la droite de Lothaire, quand il se fut mis à la place que devait occuper l’élu. Le peuple accueillit, par des cris de joie, la nouvelle de cette élection extraordinaire. Appuyé sur deux cardinaux, Lothaire se rendit à Saint-Jean-de-Latran pour prier l’Éternel, pendant que ses frères chantaient le Te Deum, et les cérémonies accoutumées s’accomplirent. Cependant le nouveau pape n’était encore que diacre, il fallait qu’il fût sacré prêtre et évêque avant d’être solennellement installé sur le trône du prince des apôtres : ce ne fut que six semaines après l’élection qu’il fut couronné pape, dans l’église de Saint-Pierre. « Le symbolisme de ces siècles, dit notre historien, qui donnaient une pensée profonde à tout acte de la vie, qui plaçaient dans la main gauche de l’empereur une pomme d’or remplie de cendre, afin que l’éclat extérieur lui rappelât la splendeur du trône, et la cendre cachée, la destruction rapide de sa personne ; ce symbolisme posa sur la tête du pape une couronne de plumes de paon, afin qu’il n’oubliât jamais que ses regards, comme les yeux de ces plumes, devaient être dirigés de tous côtés. Les brûlantes et abondantes larmes versées par Lothaire, qui prit le nom d’Innocent III, pendant cette imposante solennité, trahirent toute la violence de son émotion. »

Le second livre de l’histoire de M. Hurter est consacré à exposer l’état de l’Europe et de l’Orient, au moment de l’intronisation du nouveau pape. Le trône de l’empire était vacant, et le choix de celui qui devait s’y asseoir était d’un bien haut intérêt pour l’église romaine. En France régnait Philippe-Auguste dans tout l’éclat de la jeunesse, ayant cinq ans de moins qu’Innocent, et ne cédant pas à celui-ci en fermeté. Richard d’Angleterre, par suite de ses luttes continuelles avec la France, vivait beaucoup moins dans son île que dans ses provinces d’outre-mer, En Espagne, Alphonse de Castille, malheureux dans les combats qu’il livrait aux Maures, avait perdu Calatrava, Alarcos, et faisait aussi la guerre au roi de Léon. Les royaumes scandinaves étaient encore le théâtre de scènes sanglantes, et la protection vigilante de Rome pouvait seule empêcher que le christianisme y fût étouffé sous l’oppression de persécuteurs