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l’homme et du genre humain ; en voici quelques traits : « Que la vie est pénible ! Voulez-vous parvenir à la sagesse, à la science, alors les veilles, les peines et le travail sont votre lot, et néanmoins à peine si vous acquérez quelques connaissances… Quelle agitation intérieure pour toute chose ! Le riche et le pauvre, le maître et le valet, l’époux et le célibataire, tous sont tourmentés de diverses manières par la misère. Ainsi le célibataire par le désir de la chair, et le mari par sa femme : celle-ci veut des parures précieuses, des meubles, sans aucun égard aux revenus de son mari ; si elle ne les obtient pas, elle se plaint, elle pleure, elle fait la moue et murmure toute la nuit… La vie est un service militaire, elle est environnée de tous côtés d’ennemis et de dangers ; la nature humaine est de jour en jour plus corrompue ; le monde et notre corps vieillissent… L’ame ne se sépare pas avec plaisir du corps ; la mort et la corruption nous font frissonner d’effroi. À quoi servent alors les trésors, les festins, les honneurs, les jouissances de la vie ? Voici venir le ver qui ne meurt pas, le feu qui ne s’éteint pas. Ne dites pas : La colère de Dieu ne peut être éternelle, sa miséricorde est infinie ; l’homme a péché dans le temps, Dieu ne punira pas pour l’éternité. Espérance stérile, fausse présomption ! Pas de délivrance possible dans l’enfer, car le mal restera comme penchant, quand même il ne pourra plus être exécuté ; ils ne cesseront de blasphémer l’Éternel, et c’est ainsi que le renouvellement de la faute renouvellera le châtiment. » Quand, un siècle après, un poète viendra écrire aux portes de l’enfer : ici plus d’espérance il ne fera que répéter cette implacable théologie d’anathème et de désespoir contre laquelle aujourd’hui l’humanité proteste victorieusement.

Célestin III tomba malade vers la fête de Noël 1197 ; aussitôt qu’il eut rendu le dernier soupir, Lothaire, accompagné de quelques cardinaux, vint à l’église de Saint-Jean-de-Latran célébrer l’office des morts pour le défunt. Les cardinaux devaient, conformément aux anciens usages, s’assembler le second jour après la mort du pape, pour célébrer ses funérailles et procéder, le troisième jour, à l’élection ; mais ils jugèrent nécessaire de se hâter, pour prévenir toute influence extérieure qui aurait pu prévaloir au préjudice de la liberté de l’église. Aussi, le jour même de la mort de Célestin, ils s’assemblèrent dans un couvent près du Scaurus ; ils s’y crurent plus en sûreté contre les Allemands qui occupaient le pays jusqu’aux portes de Rome. Jean de Salerne obtint dix voix, d’autres cardinaux portèrent leurs suffrages sur Octavien ; mais celui-ci déclara qu’il regar-