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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

Milan, la bataille de Lignano, perdue par Frédéric, assura l’indépendance italienne. Cette fois les négociations furent reprises pour ne plus avorter. Le pape et l’empereur se virent à Venise et jurèrent la paix. Frédéric n’avait pas de peine à renoncer au schisme et à ne plus soutenir les anti-papes ; il n’était pas non plus difficile de rétablir la paix entre l’empire d’Occident, le roi des Deux-Siciles et l’empire d’Orient ; mais c’était un épineux problème que de définir les droits de l’empereur et des villes lombardes. Comme sur ce point on ne pouvait s’entendre, on convint, pour ne pas empêcher la paix désirée de tous, d’une trêve de six ans pendant laquelle les droits de part et d’autre demeureraient en suspens. Les six années écoulées, personne ne voulut recommencer la guerre, et dans une diète à Constance, en 1183, fut rédigé un traité définitif, base du droit public et témoignage écrit des libertés de l’Italie. L’empereur y renonçait aux droits régaliens dans l’intérieur des villes ; il reconnaissait aux cités confédérées le droit de lever des armées, de s’entourer de murailles, et d’exercer dans leur enceinte la juridiction tant civile que criminelle ; mais il se réservait l’investiture des consuls, le serment de fidélité qui devait se renouveler tous les dix ans, et les appels dans les causes civiles dont l’objet surpasserait la valeur de vingt-cinq livres impériales[1]. Ainsi, un siècle après la mort de Grégoire VII, les rapports de l’Allemagne et de l’Italie commençaient à devenir réguliers et pacifiques. Dans la lutte de trente ans qui amena la paix de Constance, les deux pays eurent chacun un grand homme. Alexandre III a un tout autre aspect qu’Hildebrand, il continue son œuvre par d’autres moyens ; c’est déjà aux intérêts positifs, à la liberté italienne, à l’ambition naissante de Venise, à l’indépendance lombarde qu’il demande le triomphe de l’église. Les revers le trouvent souple et ferme à la fois, les prospérités ne le jettent pas dans le danger des prétentions excessives ; il signe avec l’empereur une paix opportune ; pendant son exil en France, il sait se faire honorer du roi Louis, et garder toute la majesté du pontificat ; dans les démêlés si tragiques entre Thomas Becket et Henri II, dont il faut lire le récit tant dans l’Histoire ecclésiastique, de Fleury, que dans l’Histoire de la Conquête d’Angleterre, de M. Augustin Thierry, Alexandre III s’attache à ménager l’archevêque et le roi ; il leur donne raison tour à tour, si bien que Becket, se voyant abandonné par Rome dans sa lutte contre

  1. On peut lire la teneur de ce traité dans les savantes recherches de Sigonius, De regno Italiæ, lib. XIV. (Édition de Milan, tom. II des Œuvres complètes, pag. 811-818.)