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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

à cujus peste Italiam purgastis, adstiterunt et convenerunt in unum adversus Dominum et adverses Christum ejus[1]. Cependant Abailard avait pris le chemin de Rome ; il passa par Cluny ; il y apprit que le pape avait confirmé la condamnation prononcée par le concile ; il y resta, et après deux ans il y mourut, brisé par l’immense fardeau qu’il avait soulevé avec tant d’audace, mais qu’il ne suffisait pas à porter : car enfin Abailard s’était permis les plus hautes témérités. S’il faut en croire son dénonciateur, Guillaume, abbé de Saint-Thierry, il enseignait, entre autres choses, que le Saint-Esprit est l’ame du monde, que nous pouvons vouloir et faire le bien par le libre arbitre, sans le secours de la grace, que ce n’est pas pour nous délivrer de la servitude du démon que Jésus-Christ s’est incarné et qu’il a souffert, que les suggestions du démon se font dans les hommes par les moyens physiques, qu’il n’y a de péché que dans le consentement au péché et le mépris de Dieu, qu’on ne commet aucun péché par le plaisir, le désir et l’ignorance, mais que ce sont des dispositions naturelles[2]. C’était trop pour le XIIe siècle, et la pétulance de son génie avait emporté l’amant d’Héloïse dans des hardiesses trop périlleuses.

Après ces débats métaphysiques, la seconde moitié du XIIe siècle nous montre des théories politiques. L’Italie, pendant les luttes du sacerdoce et de l’empire, avait accru sa liberté intérieure. Venise, Pise, Gènes, Naples, Amalfi, avaient un gouvernement républicain. Les villes de la Lombardie, Milan, Pavie, Crémone, Asti, Vérone, Padoue, Lodi, possédaient des consuls, une milice, jouissaient des droits régaliens de faire la paix, la guerre, de battre monnaie, et ces grandes cités voulaient attirer dans leur alliance les villes moins considérables pour s’en faire un instrument de guerre et de résistance, soit contre le pape, soit contre l’empereur ; car la querelle de l’église et de l’empire partageait l’Italie comme en deux camps, et les mots de Guelfes et de Gibelins (Welf, Weiblingen), prononcés

  1. Epistolæ S. Bernardi abbatis. (Recueil des historiens des Gaules et de la France, tom. XV, pag. 580.)
  2. « Quod Spiritus sanctus sit anima mundi ;

    « Quod libero arbitrio sine adjuvante gratia bene possumus et velle et agere ;

    « Quod Christus non ideò assumpsit carnem et passus est, ut nos à jugo diaboli liberaret ;

    « Quod suggestiones diabolicas per physicam dicit fieri in hominibus ;

    « Quod nullum sit peccatum, nisi in consensu peccati et contemptu Dei ;

    « Quod dicit concupiscentia et delectatione et ignorantia nullum peccatum committi, et hujusmodi non esse peccatum, sed naturam. » (Recueil des historiens des Gaules et de la France, tom. XV, pag. 577.)