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lui arrive rarement de nous le montrer. À proprement parler, le caractère de Gabrielle est une espèce de programme que l’auteur a négligé de remplir. Mme Ancelot nous dit bien que Gabrielle, malgré son ignorance, est pleine de délicatesse, qu’elle devine les sentimens les plus élevés, qu’elle franchit en un jour l’intervalle qui la sépare du monde qu’elle n’a jamais entrevu ; mais cette délicatesse, cette élévation de sentimens, tarde long-temps à se faire connaître. Cependant, lorsqu’elle éclate, lorsqu’une fois aux prises avec la vie réelle elle fait face au danger, elle ne manque jamais de nous charmer. Il est fâcheux que Mme Ancelot, en dessinant Gabrielle comme en dessinant Mme Rémond, se soit crue obligée d’insister sur tous les détails visibles de son modèle. Elle nous parle trop souvent du corsage viril de Gabrielle, de l’ardeur de son regard, de la forme de ses pieds et de ses mains. Je suis plein d’estime pour les pieds andalous, pour les doigts en amande, pour les yeux longs et les regards voilés ; mais tous ces détails, qui me charment dans un tableau, qui me plaisent dans une vignette anglaise, m’intéressent médiocrement dans un récit. La femme la plus belle ne veut pas être décrite comme un cheval pur sang, et malheureusement Mme Ancelot, en peignant Gabrielle, a tenu trop constamment à nous montrer son savoir. Elle semble oublier qu’elle nous raconte l’histoire d’un ménage, et se laisse aller à des paroles qui n’ont aucune valeur poétique. Souvent sa prédilection pour l’aristocratie l’entraîne bien au-delà de la vérité. Malgré les complimens adressés à Byron pendant son premier voyage, je crois que la blancheur et la petitesse des mains ne sont pas le partage exclusif d’une haute naissance ; à ce compte, il y aurait bien des grands seigneurs roturiers. D’ailleurs, lors même que cette remarque serait absolument vraie, elle n’aurait aucune importance. Mme Ancelot a donc eu tort de nous parler des mains de Gabrielle comme de nous parler des meubles de la marquise et des rubans de Mme Rémond. Ici encore elle a péché par un excès de réalité. Nous connaissons trop la personne de Gabrielle, nous ne connaissons pas assez le cœur qui dirige sa conduite.

Le personnage de M. Simon a le malheur très grave de n’être pas nécessaire, d’être à peine utile. Le roman se passerait très bien de M. Simon. L’auteur nous répondra sans doute que M. Simon établit entre la marquise de Fontenay-Mareuil et Mme Rémond des relations qui, sans lui, auraient grand’peine à se nouer. Cette réponse est loin de nous satisfaire, et tout en reconnaissant que M. Simon hâte le rapprochement des deux familles, nous persistons à croire qu’il est de trop dans le roman. Admettons un instant qu’il soit indispensable ; admettons que l’action ne puisse marcher sans lui. À quoi bon faire de lui un héros de mélodrame ? À quoi bon jeter sa haine, sa vengeance et ses remords au milieu d’un récit consacré à la peinture d’un ménage ? Le personnage de M. Simon, je n’hésite pas à le dire, utile ou inutile à l’action, tel que l’a conçu Mme Ancelot, est un véritable hors-d’œuvre. Quelle que soit la valeur de son intervention, ses souffrances, sa lâcheté, ses remords, sont sans profit pour l’histoire d’Yves et de Gabrielle. Ce placage qui frappera tous les yeux ralentit le récit et altère la simplicité primitive de