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Par l’intelligence et par les armes, la France de Richelieu sortit donc d’un rang secondaire pour marcher l’égale des premières nations. La France de Louis XIV devint l’arbitre de l’Europe, elle accabla tout, et, restée seule sur des débris, prit un essor où l’œil peut à peine la suivre. Mais cette grandeur qu’il fallait modérer, a son principe dans le ministère de Richelieu.

Parmi ces faits, beaucoup ne se trouvent pas dans le livre de M. Bazin : le développement intellectuel, la marche et les progrès de l’esprit français dans toutes les directions, qui, à notre gré, devaient être largement dessinés, ne sont indiqués que vaguement. Quelques évènemens politiques sont saisis à un point de vue qui nous semble inexact. Nous citerons pour exemple tout ce qui se rattache à la période française de la guerre de trente ans. M. Bazin sent-il et fait-il sentir à ses lecteurs l’importance de cette série entière de faits ? Quelle est la question au fond de la lutte ? C’est d’abaisser les deux branches de la maison d’Autriche, c’est de délivrer la France du danger d’être envahie cinq fois, comme sous Charles-Quint, ou bien, comme sous Philippe II, d’être réduite en province espagnole à la suite d’un quart de siècle d’anarchie et de guerre civile entretenue par l’étranger ; c’est de faire passer la France, de cet état souvent désastreux, toujours précaire, à l’état de puissance sûre de son indépendance, et partout prépondérante ; c’est, enfin, de donner des garanties à cette nouvelle et glorieuse situation, en assurant la liberté politique et religieuse de l’Europe. À propos des sacrifices que Richelieu imposait momentanément et forcément au peuple pour arriver à ce résultat ; à propos d’une sédition excitée en Normandie, M. Bazin indique quel cas il fait de la guerre contre la maison d’Autriche, des efforts du pays, des projets du cardinal. « C’était, dit-il, un soulèvement de gens qui prétendaient avoir faim, de paysans et de bourgeois qui ne voulaient pas payer la taille, sans aucun égard pour l’honneur que leur apportaient tant d’armées qui guerroyaient en Italie, en Flandre, dans l’Artois, dans la Lorraine et devers le Roussillon. » Présenter sous cet aspect, rappeler avec ce dédain et cette ironie la querelle qui se vidait alors entre la France et une partie de l’Europe, n’est-ce pas réduire le génie de Richelieu à des proportions trop mesquines ?

Nous regrettons encore que M. Bazin n’ait pas cité ses autorités. L’histoire est une science : Volney prétendait qu’on pouvait lui donner presque toujours l’exactitude et la rigueur mathématiques. Ne pas fournir au lecteur le moyen de recourir aux originaux, de s’assurer de la vérité des assertions de l’historien, c’est ajourner indéfiniment le jugement public sur une foule de questions ; c’est produire une suite de solutions de problèmes, en retranchant les calculs et les données qui permettent d’en vérifier et d’en prononcer l’exactitude. Nous nous expliquons d’autant moins la suppression des citations dans le livre de M. Bazin, qu’elle est condamnée par l’usage contraire et par le succès des plus grands historiens de notre temps. MM. Guizot et Thierry ont-ils rien perdu, le premier de la hauteur de ses vues, le second du