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HISTOIRE DE FRANCE.

s’approcher de lui, se concilier sa faveur. Dès-lors, les places à l’Académie devinrent un objet d’ambition pour les plus grands seigneurs : l’éclat dont ils brillaient rejaillit sur les lettres et les ennoblit aux yeux de la nation. Richelieu s’essaya lui-même dans la littérature : il faisait les canevas des comédies qu’il donnait à remplir aux cinq auteurs ; il ordonnait et versifiait en grande partie, peut-être même en totalité, la tragédie de Mirame ; il élevait un théâtre pour faire jouer ses drames avec beaucoup d’autres de l’époque. Le mérite réel de ces pièces n’est pas ce qui doit nous préoccuper ici. Qu’importe qu’elles ne s’élèvent pas au-dessus du médiocre, si alors leur succès et leur composition seule étaient d’un puissant exemple et d’un prodigieux effet ? Le théâtre et la poésie ne suffirent pas à l’ambition littéraire de Richelieu ; comme orateur, il avait réussi dès ses débuts ; plus tard, il rêva la gloire de l’historien. Sa Succincte narration, ses Mémoires, son Testament politique, rédigés en partie sur ses souvenirs et ses réflexions, en partie sur les journaux qu’il demanda à tous les ambassadeurs français, abondent en récits curieux, attachans, en opinions larges et rigoureuses, en considérations dignes du plus grand politique des temps modernes. En voyant l’homme dont tant d’intérêts se disputaient le temps et les facultés, réserver chaque jour quelques heures pour la culture des lettres, et mettre les plaisirs intellectuels parmi les choses de première nécessité pour lui ; en voyant la main qui tenait le sceptre de la France et la balance de l’Europe, tracer une scène de tragédie et une page d’histoire, il n’y avait plus moyen de refuser le plus haut degré d’estime aux arts de l’esprit : Richelieu les avait investis de toute sa grandeur.

Il ne travailla pas moins efficacement à leur développement qu’à leur dignité. Il voulut que l’Académie, en composant son Dictionnaire, fixât la langue, arrêtât les mots et les expressions qui la composeraient, en déterminât le sens. Il voulut encore qu’elle fondât la critique, qu’elle posât, d’après les principes du goût, les règles de chaque genre ; qu’elle vînt en aide au génie qui s’égarait incessamment. Il lui donna mission de perfectionner par tous les moyens l’éloquence et la poésie. Mais là ne devaient pas s’arrêter ses efforts. Il lui rappela par deux fois, dans les lettres patentes de sa création, que c’était pour elle un devoir de travailler sans relâche à rendre la langue française capable de traiter tous les arts et toutes les sciences. Aussi toutes les sciences connues de l’époque furent représentées dans l’Académie naissante, et les membres de ce corps purent diriger le génie national dans les routes nombreuses où il était prêt à entrer. Les académiciens de la première création et leurs successeurs immédiats étonnent par l’étendue et par la variété de leurs connaissances. Chapelain avait appris tout ce que l’on savait de médecine de son temps ; Du Chastelet était l’un des savans jurisconsultes du royaume ; l’érudition de Furetière s’étendait à tout. Thomas Corneille, après ses quarante-deux pièces de théâtre, composait, en cinq volumes in-folio, son Dictionnaire des arts et des sciences et son Dictionnaire universel géogra-