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remarquable, fut accueilli par les bienfaits du cardinal ou du roi, et n’eut plus à s’occuper de ses besoins, mais à s’inquiéter seulement de son art. Les six cents francs donnés à Colletet pour six vers ne sont plus aujourd’hui qu’un sujet d’étonnement ou de plaisanterie ; alors c’était un fait grave. Parmi les auteurs dramatiques, Rotrou et Corneille, qui n’avait pas encore fait le Cid, se faisaient remarquer depuis 1628. Or, en 1635, ils sont pensionnés tous deux par Richelieu : en échange ils ne donnent au cardinal que quelques heures de leur temps ; la vie et le loisir leur sont assurés ; leur génie peut se développer en toute liberté. Richelieu prenait ces libéralités sur sa propre bourse, et non sur celle de l’état. Mais il ne céda pas au plaisir d’aider seul le talent, et il assura le sort des gens de lettres par la fondation de l’Académie. Dans le principe, aucune pension, aucun traitement n’était attaché au titre d’académicien. Ce n’était qu’une déclaration publique de capacité, un brevet de mérite. Mais cette recommandation toute morale valait, à celui qui l’obtenait, des avantages très positifs, et le mettait à l’abri du besoin. En général, il recevait du gouvernement, comme bel esprit, une pension qui ne lui était pas attribuée comme académicien[1] : il était assuré de trouver pour ses ouvrages un accueil plus favorable. L’admission à l’Académie l’attachait à un corps où chacun des membres prêtait assistance à son collègue ; et parmi ces membres l’on comptait plusieurs seigneurs haut placés par le rang, les alliances, la fortune, le crédit : c’était un puissant patronage donné au talent. Enfin, la constitution de l’Académie ménageait le temps de ses membres, les délivrait de soins gênans, les exemptait de divers devoirs imposés aux autres citoyens, des tutelles et curatelles, des guets et gardes, et, dans plusieurs cas, de la juridiction ordinaire. L’établissement de Richelieu ne fit pas moins pour la dignité que pour le bien-être matériel de l’écrivain : le titre d’académicien était ses lettres de noblesse et lui assurait une place élevée dans la société.

La composition de l’Académie fut faite dans l’esprit le plus libéral. Les encouragemens aux lettres s’étendirent à tous ceux qui présentaient des titres pour les obtenir, sans acception de personnes, de partis, d’opinions religieuses et politiques. Parmi les premiers académiciens, on compta des réformés, on compta des antagonistes, des ennemis même de Richelieu, un Du Chastelet, qui avait essayé d’arracher à sa terrible sévérité Montmorency, Boutteville et Chapelles ; un Porchères de Laugier, publiquement attaché à la faction qui avait fait une guerre incessante au cardinal.

D’autres dispositions, d’autres actes, contribuèrent à rehausser les travaux de l’esprit, à donner l’essor au génie national. Richelieu se déclara le protecteur de l’Académie. Entrer dans un corps créé par lui, objet de sa prédilection particulière, c’était flatter le maître de la France, se ménager les moyens de

  1. Le vers de Boileau accuse un usage général :

    « Qu’il soit le mieux renté de tous les beaux-esprits. »