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poursuive. Ils sollicitent des améliorations sages, modérées, mais réelles et progressives. Les dernières classes ne se saisiront jamais du pouvoir politique qu’en vue d’assurer leur liberté civile et leurs moyens d’existence pour elles, ce pouvoir est un instrument, un moyen, non un but. Qu’on leur donne, qu’on leur garantisse ces avantages, et elles laisseront le gouvernement aux mains qui le tiennent maintenant. Ces idées se retrouvent à chaque page et presque à chaque ligne du discours de Miron.

Après avoir exposé, par d’énergiques et libres paroles, la misère et la toute-puissance du peuple, après avoir fait toucher au doigt l’imprudence qu’on commettrait en le réduisant au désespoir, Miron et le tiers-état recherchent les moyens de prévenir les révoltes et la destruction du pouvoir du roi, « de retenir tant de têtes avec une seule tête, de ranger doucement sous quelque joug commun d’obéissance cette grande multitude inquiète et turbulente. » Ces moyens, dictés par une sage politique autant que par l’humanité et la religion, sont une protection efficace, un prompt soulagement accordés aux classes inférieures. Et ce soulagement ne sera obtenu sûrement que par la destruction des restes du privilége, par l’égale répartition des charges publiques entre tous les ordres des citoyens, par l’extension de l’impôt à la noblesse et au clergé. Ainsi, la destruction des restes du servage et du privilége, l’égale répartition des charges publiques, étaient demandées de la manière la plus précise en 1614, cent soixante-quinze ans avant la révolution de 89, par des hommes qui, à force de bon sens et de sagacité, pressentaient cette révolution et voulaient en prévenir les désastres par la destruction des abus. Certes, le fait est assez curieux pour mériter l’examen.

Miron et le tiers-état de 1614 ne considèrent pas la monarchie comme l’usufruit d’un peuple et d’un pays, accordé de droit divin à un roi et à quelques privilégiés, pour qu’ils en tirent tout ce que demandent les fantaisies de leur ambition. Ils se font de la royauté une autre et plus noble idée : ils la considèrent comme une haute magistrature, destinée à conduire la nation dans la voie de tous les perfectionnemens qu’amènent le temps et l’expérience, que conseillent la raison et le génie. Dans les formes présentes du gouvernement, aucun des ordres de l’état n’est investi du pouvoir législatif : ce pouvoir appartient tout entier au roi. Les assemblées nationales, quand elles seront convoquées, les parlemens, quand ils le jugeront convenable, ne présenteront donc, dans leurs cahiers et dans leurs remontrances, que des vues et des idées. À la royauté restera l’inestimable privilége de décider, d’ordonner par sa puissance législative, et d’opérer par sa puissance exécutive tous les changemens, toutes les améliorations. Elle sera, pour le pays, une providence faite homme, une justice vivante.

Aussi Miron et le tiers-état ne demandent-ils pas seulement à la royauté de soulager les charges et la misère du peuple. Ils la pressent de satisfaire aux besoins, aux légitimes exigences de toutes les classes de la société ; de comprendre dans le cercle des réformes tous les corps de l’état, comme