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vêtus, n’ont rien conservé de la fierté des janissaires, et ils s’estiment fort heureux lorsque les rayas serviens leur permettent de descendre de leur prison. C’est dans l’enceinte de la forteresse que sont les casernes, la grande mosquée et le séraï du pacha : noms imposans ! mais il faut voir les choses. J’ai traversé la Valachie dans toute sa longueur, j’ai parcouru la Grèce, je n’ai trouvé nulle part autant de misère qu’à Belgrade. Le séraï est en planches jadis recouvertes d’un plâtre colorié qui est presque entièrement tombé ; des fenêtres sans vitres, une toiture à demi pourrie, offrent un libre passage au froid et à la chaleur, au vent et à la pluie. Le pachalik appartient à ce Joussouf qui, dans la dernière guerre, signa la honteuse capitulation de Warna. À une autre époque, le sultan lui eût envoyé le cordon ; mais, pour plaire à ses vainqueurs, il a dû conserver ses bonnes graces à l’homme qui l’avait trahi. La mosquée a une apparence assez mesquine ; nous passions devant cet édifice sans nous arrêter, lorsqu’un individu qu’à la couleur blanche de son turban et à sa longue robe rouge nous reconnûmes pour l’iman, nous proposa d’entrer. Cela renversait toutes mes idées : un prêtre musulman ouvrir lui-même les portes d’une mosquée à des giaours ! Rien n’est plus simple que l’intérieur de ce temple : les murailles sont entièrement nues ; de longues nattes de joncs recouvrent le parvis ; une galerie de bois pour le pacha et son état-major, une espèce de chaire où tous les vendredis se fait la lecture du livre saint, voilà les seuls ornemens. J’allais presque trouver à ce temple un caractère de grandeur, si je n’eusse vu l’iman se baisser avec une joie cupide pour ramasser les trois ou quatre piastres que l’un de nous lui avait jetées. Le cimetière est voisin de la mosquée ; les demeures des morts sont en meilleur état que celles des vivans.

Le tableau que m’offrit la ville était tout nouveau pour moi ; je pouvais me croire bien loin de l’Europe. À Belgrade, comme dans tout l’Orient, les habitans passent leur vie en public ; ainsi, durant le jour, la devanture de chaque maison est enlevée, et les curieux peuvent apercevoir ce qui se passe dans la première salle. Là, quelques individus, gravement accroupis sur le plancher, fument le chibouk et boivent le café ; ici, un autre s’amuse à compter ou des paras ou les grains d’un chapelet ; plus loin, c’est un groupe de dormeurs. Une ceinture garnie de belles armes est une partie intégrante du costume de tous les hommes.

Belgrade est la capitale de la Servie ; le prince Milosch n’y a pas encore fixé le siége de son gouvernement, mais il y a fait commencer