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Du jour où les travaux seront achevés, du jour surtout où la législation commerciale sera refondue ou plutôt créée, Pesth deviendra l’un des plus importans marchés de l’Europe. Déjà le mouvement de son quai étonne le voyageur habitué au silence des villes allemandes. C’est là que les paysans viennent apporter leurs denrées, les produits de leurs champs et de leurs troupeaux. Ils ont conservé le costume national, je n’ose pas dire dans sa pureté, l’expression serait risible, mais dans toute sa barbarie et toute sa saleté primitives. À les voir couchés sur la paille, au milieu de leurs petits chevaux et de leurs légères charrettes, on peut se croire tombé dans une horde de sauvages. Dix siècles ont passé sur ce peuple sans effacer son caractère : le Madjyar d’aujourd’hui est le digne fils du barbare d’autrefois. Comme son père, il a une physionomie dure, mais pleine d’expression ; il unit la force nerveuse à une grande insensibilité physique ; comme son père, il porte une chevelure longue et huileuse, et n’a pour costume qu’une veste de cuir enduite de graisse (ce qui, pour lui, remplace la chemise), de larges pantalons et une peau de mouton presque séculaire. La présence de cette race à part au milieu d’une ville civilisée, ce souvenir du IVe siècle encore vivant au XIXe forme un spectacle auquel les yeux et l’esprit s’habituent difficilement.

Hâtons-nous de le dire, il existe en Hongrie, au sein de la noblesse elle-même, un parti libéral et philosophique qui sent la nécessité de corriger les abus pour ne pas être dévoré par eux. Le terrible exemple de la révolution française ne sera point perdu pour l’Europe ; la Hongrie ne reconstruira pas sur table rase ; elle amendera sa constitution, mais elle ne l’abolira pas pour adopter celle de l’Angleterre.

Les Hongrois affectionnent Pesth, ils ont une haute idée de son avenir ; aussi cette ville a-t-elle été choisie pour servir de centre à la politique, au commerce et à l’instruction. Son université peut soutenir la comparaison, non pas sans doute avec les premières écoles de l’Allemagne, mais avec toutes celles de l’empire autrichien. La langue nationale, chose bizarre, était peu cultivée en Hongrie ; on écrivait, on parlait, on plaidait en latin. L’Autriche aurait bien voulu substituer l’allemand au hongrois ; mais, ne pouvant y parvenir, elle avait pris le latin pour langue officielle. L’esprit national s’est enfin réveillé, et l’homme dont le nom se retrouve toujours attaché aux projets vraiment utiles et patriotiques, le comte de Széchényi, contribua de toutes ses forces à faire passer une loi qui détrôna la langue de Cicéron au profit de celle d’Arpad. La séance où fut prise cette résolution est une des plus belles de la dernière diète.