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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

à des prix excessifs, qui donnaient à peine le pair avec les prix d’Europe. Plus difficiles sur le taux du gain, les premières maisons n’achetaient plus et préféraient escompter les traites des maisons secondaires. Cette opération présentait un bénéfice plus élevé et plus certain : les premières maisons s’étaient ainsi réduites au rôle de banquiers. Trois établissemens de banque, fondés à Alexandrie, s’alimentaient de ces opérations, de quelques escomptes sur place et de quelques changes de monnaies. Mais, lorsque la crise européenne arriva, les faillites des maisons secondaires d’Alexandrie compromirent les grandes maisons qui leur avaient engagé leurs capitaux. Ainsi le système des enchères, très avantageux pour le gouvernement et très équitable en lui-même, comme nous l’avons montré plus haut, devait être funeste au commerce : c’était la conséquence inévitable de la concurrence, plus âpre encore sous le soleil d’Égypte, et entre des hommes qui se sont expatriés pour faire fortune, qu’elle ne peut l’être dans nos villes d’Europe. Les grandes maisons avaient pressenti ce résultat ; elles se plaignaient du système des enchères, qui ne semblait introduit qu’en faveur du petit commerce. Elles avaient cru échapper à la crise en s’abstenant d’acheter ; mais, séduites par l’appât d’un change avantageux, elles ont appris à leurs dépens l’intime solidarité qui unit tous les élémens du monde commercial. Il est vrai que, sans le contrecoup de la crise d’Occident, il y aurait eu moins de faillites, et, par conséquent, les grandes maisons eussent été moins compromises ; mais, même en supposant que les cotons n’eussent pas éprouvé une forte baisse sur le marché européen, les maisons secondaires, achetant en Égypte à des prix qui ne leur laissaient aucun bénéfice, auraient fini par succomber. Les grandes maisons pensaient qu’elles disparaîtraient ainsi peu à peu, sans causer de trop grands désastres. Au milieu de ces ruines successives, elles espéraient pouvoir sauver leurs capitaux engagés par l’escompte, et tirer, comme on dit, leur épingle du jeu. Apvès la chute de toutes les maisons secondaires, les grandes maisons comptaient pouvoir faire la loi au gouvernement dans les enchères ; mais la crise européenne est venue déranger tous ces calculs.

Malgré la cessation de la petite concurrence, les marchandises du dépôt égyptien n’ont pu trouver d’enchérisseurs chez les grands négocians ; toutes les schounas ont été encombrées de cotons, d’indigos et d’autres produits. Le gouvernement essayait quelques enchères, mais personne ne se présentait pour enchérir ; il faisait quelques ventes tractatives, mais à des prix extrêmement bas. Malgré l’encombrement de ses magasins, malgré l’espérance d’une abondante récolte et les besoins d’argent, le gouvernement n’osait plus annoncer des enchères de cotons, et disait qu’il fallait attendre. Frappé de ces circonstances critiques, nous proposâmes au ministre du commerce de transporter les enchères en Europe, par le moyen de firmans. Le ministre accueillit avec bienveillance notre proposition, en comprit toute la portée, et nous demanda un rapport détaillé.

Dans ce travail, nous démontrions que les bénéfices provenant, 1o du plus bas prix du capital employé à l’opération du transport des cotons, et de la