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petite campagne au Val-de-Travers, les vignes d’Auvernier rapportent à peine, et ses jambes de plus en plus enflent. Sa pension s’éteindra avec lui ; et que sera l’avenir de cette adorable enfant ? Nous ne la connaissons encore que par Meyer ; mais elle-même va directement se révéler. Elle écrit à sa meilleure amie, Eugénie de Ville, partie depuis un an à Marseille ; il lui échappe de raconter assez en détail ses ennuis :

« Et toi, que fais-tu ? passeras-tu ton hiver à Marseille ou à la campagne ? Songe-t-on à te marier ? As-tu appris à te passer de moi ? Pour moi, je ne sais que faire de mon cœur. Quand il m’arrive d’exprimer ce que je sens, ce que j’exige de moi ou des autres, ce que je désire, ce que je pense, personne ne m’entend ; je n’intéresse personne. Avec toi tout avait vie, et sans toi tout me semble mort. Il faut que les autres n’aient pas le même besoin que moi ; car, si l’on cherche un cœur, on trouverait le mien. »

Elle n’est pourtant pas toujours aussi plaintive ni aussi découragée qu’en ce moment ; mais, le matin même, sa mère a renvoyé une ancienne domestique qui les servait depuis dix ans, et la tristesse de l’aimable fille a débordé. Dans sa première lettre, il n’est encore question que des noms de jeunes gens à la mode, des deux comtes allemands nouveau-venus (le comte Max et son frère) ; dès la seconde, Meyer, pour nous, s’entrevoit :

« Les concerts, écrit-elle, sont commencés : j’ai chanté au premier ; je crois qu’on s’est un peu moqué de moi à l’occasion d’un peu d’embarras et de trouble que j’eus, je ne sais trop pourquoi ; c’est un assemblage de si petites choses que je ne saurais comment te le raconter. Chacune d’elles est un rien, ou ne doit paraître qu’un rien, quand même elle serait quelque chose. »

Mais voici qui se dessine déjà mieux et correspond, pour l’éclairer, à notre mystère :

« Il me semble que j’ai quelque chose à te dire ; et, quand je veux commencer, je ne vois plus rien qui vaille la peine d’être dit. Tous ces jours je me suis arrangée pour t’écrire : j’ai tenu ma plume pendant long-temps, et elle n’a pas tracé le moindre mot. Tous les faits sont si petits que le récit m’en sera ennuyeux à moi-même, et l’impression est quelquefois si forte que je ne saurais la rendre : elle est trop confuse aussi pour la bien rendre. Quelquefois il me semble qu’il ne m’est rien arrivé ; que je n’ai rien à te dire ; que rien n’a changé pour moi ; que cet hiver a commencé comme l’autre ; qu’il y a, comme à l’ordinaire, quelques jeunes étrangers à Neuchâtel, que je ne connais pas, dont je sais à peine le nom, avec qui je n’ai rien de commun. En effet, je suis allée au concert, j’ai laissé tomber un papier de musique ; j’ai assez mal chanté ; j’ai été à la première assemblée ; j’y ai dansé avec tout le