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vail a été couronné. L’Académie n’a pas accepté toutefois la solidarité des doctrines et des conjectures de l’auteur. Elle a voulu seulement, a dit son rapporteur, récompenser des efforts consciencieux, un mérite réel, et non pas délivrer un brevet de certitude à cet avenir qui nous est promis par une imagination audacieuse. M. Pecqueur a donné un honorable exemple de probité littéraire en rappelant lui-même dans sa préface les réserves de ses juges, et en indiquant les passages qui, ajoutés après coup au mémoire primitif, n’ont pas subi l’épreuve académique. Il serait permis de croire que l’auteur a traversé toutes les écoles sociales qui ont entrepris, en ces derniers temps, la conquête de l’avenir. Hâtons-nous de dire qu’il n’emprunte, à des systèmes souvent hasardés, que leurs élémens généreux et féconds ; aux saint-simoniens, le respect pour l’intelligence et la sympathie pour les travailleurs ; à Fourier, ses vues ingénieuses d’économie domestique ; aux humanitaires, leur progressivité indéfinie ; aux orthodoxes, la loi divine du dévouement et de la fraternité universelle. Toutes ces doctrines se sont mises à la recherche de quelque théorie d’association, unique remède qu’elles aient entrevu au déchirement qui menace de mort les sociétés. Or, les machines à vapeur et les chemins de fer, qui, dans l’opinion de M. Pecqueur, doivent opérer forcément la concentration et le classement des intérêts, sont salués dans son livre comme des agens providentiels. Suivons son calcul. Il y a cinq ans, les machines employées en Angleterre représentaient la force de 2,321,560 chevaux ; en France, celle de 1,785,500 ; en Prusse, celle de 914,985. Le travail d’un cheval équivaut, terme moyen, à celui de 5 hommes. Il s’ensuit que les machines ont créé une force qui ajoute à celle des travailleurs existans l’action de 12 millions d’hommes en Angleterre, de 9 millions en France, de 4 millions et demi en Prusse. Toutes les contrées tendent à se donner des auxiliaires du même genre. Ces ouvriers muets fonctionnent avec une économie, une prestesse, une régularité désespérante pour la main humaine. Dans la guerre commerciale, ils assurent la victoire à ceux qui les mettent en œuvre, c’est-à-dire aux gros capitaux. Il faudra donc que les petits producteurs, s’ils ne veulent pas retomber dans la classe des salariés, se rapprochent et se concertent pour la fabrication en grand, à l’aide des plus puissantes machines. Les coups mortels ont été portés par Watt et Stephenson. Le travail capricieux et solitaire se débat dans l’agonie ; il fera place à des groupes réunis étroitement par un même intérêt, éclairés par un commun foyer de lumière ; leur loi constitutionnelle sera la commandite, organisée de telle sorte, que le plus faible capital puisse s’y associer et entrer en participation des chances favorables.

Le système des sociétés industrielles, par petites actions, tend en effet à prévaloir ; mais c’est précisément parce qu’on nous a accoutumés à cette vague attente d’une transformation sociale, qu’on aimerait à connaître les conséquences imminentes, les douleurs prochaines de la transition. M. Pecqueur a éludé complètement cette difficulté de son sujet ; son lecteur se trouve transporté dans un nouveau monde, sans savoir comment il y est