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ÉCONOMIE POLITIQUE.

sont appropriées aux besoins. Son point de départ a donc été le siècle où le pouvoir royal commence à se dégager des rudes étreintes de la féodalité. Les redevances que le seigneur exige alors du vilain, les œuvres manuelles qui épuisent le serf, ne présentent pas, à proprement parler, les caractères de l’impôt. Elles ne sont pas un sacrifice dans un intérêt commun, mais une extorsion au profit du plus fort. Tout homme né dans la circonscription ou sous la dépendance d’un domaine, est taillable et corvéable à miséricorde ; les charges qu’il doit subir n’ont pour mesure que la pitié du maître. Les rois eux-mêmes n’ont d’autres droits que ceux qui sont attachés à la propriété, et c’est surtout à la supériorité de leur richesse qu’ils doivent leur prépondérance. Mais toute leur politique tend à faire jaillir des sources de revenus, en dehors de leurs biens patrimoniaux. D’abord la direction des entreprises militaires, faites dans un intérêt commun, met à leur disposition les aides que chaque baron doit fournir, soit en argent, soit en hommes. Le droit de justice était alors une propriété fort lucrative. Les conflits entre une multitude de juridictions égales, et qui se résolvaient par le combat judiciaire, étant une cause permanente de désordre, le pouvoir royal fut autorisé à y mettre fin en se décernant l’appel en dernier ressort. C’était s’attribuer ainsi les amendes et les confiscations, dont le produit fut affermé. La confirmation des chartes de communes, les bourgeoisies royales ne s’obtinrent que moyennant finance. L’héritage du bâtard et de l’aubain, l’amortissement des fiefs, c’est-à-dire l’indemnité qu’une église ou qu’un vilain devait payer pour obtenir l’autorisation d’acquérir une terre féodale, passèrent également du seigneur au roi.

Cependant des ressources irrégulières et bornées étaient insuffisantes pour substituer l’unité monarchique au déchirement féodal, pour faire de toutes ces peuplades possédées un grand peuple qui se possédât lui-même. La société n’était pas encore assez bien assise, pour que l’impôt pût être établi avec équité et discernement. Ne nous étonnons donc pas que les expédiens financiers de cette époque aient les caractères de la brutalité et de l’inexpérience. La fraude la plus ordinaire est l’altération des monnaies. Dans la fausse idée que la monnaie est une mesure purement arbitraire, on diminuait la valeur intrinsèque des pièces en conservant la dénomination primitive. Dans les temps de crise, la dépréciation devenait une véritable banqueroute. Ainsi, en 1359, le marc d’argent fin se vendait 102 livres, c’est-à-dire que la valeur réelle des espèces monnayées représentait 1/200 de leur valeur nominale. Les seigneurs qui avaient droit de monnayage étaient quatre-vingts sous saint Louis ; on n’en compta plus que trente-deux un siècle plus tard, et leur nombre alla toujours en décroissant jusqu’à extinction. En outre, leur monnaie n’avait cours que dans leurs domaines, tandis que celle du roi était admissible partout. Ce privilége devint donc, pour les conseillers de la couronne, un encouragement à la falsification. Mais plus les bénéfices de la première émission étaient considérables, plus la perte était grande quand les valeurs altérées retournaient au trésor. Il fallut pourtant des siècles pour