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irlandais, vous résumez, dans un cercle étroit, toute l’éloquence actuelle du parlement. Encore peut-on affirmer que Brougham a faibli depuis que la voix populaire et la justice royale l’ont fait siéger parmi les pairs. Debout sur le parquet des communes, sa voix stridente et ses accusations terribles retentissaient bien autrement ; les communes sont sa vraie patrie ; pour retrouver sa force, il faut qu’il touche le sol populaire.

La puissance et l’éclat de l’éloquence politique ont abaissé leur niveau depuis l’ouverture du parlement réformé. Un grand nombre de nouveaux membres, ignorant les usages parlementaires, n’étaient point rompus à cette habitude de discussion souple et violente, à ce mélange de préméditation et de soudaineté qui font le charme, le drame, la puissance des débats. Les grandes commotions favorisent l’éloquence ; les transactions, les compromis, les transitions entre deux époques, n’offrant que nuances, incertitude et confusion, diminuent l’énergie et la simplicité du discours. L’aristocratie cédant à la réforme, lui accordant quelque chose, lui refusant quelque chose encore ; la démocratie ne voulant ni se prononcer comme révolutionnaire, ni abjurer ses théories radicales, n’ont pas couronné le parlement nouveau de cet éclat magnifique dont s’environnaient les communes, lorsque la guerre contre Bonaparte, la naissance de notre république, la guerre des États-Unis, la conquête de l’Hindoustan provoquaient aux combats de la parole les Canning, les Burdett, les Fox, les Sheridan et les Burke. Au milieu des partis subdivisés, les seuls grands orateurs ont été les deux athlètes des opinions extrêmes : Peel, homme d’état prudent, héritier d’une partie de l’éloquence du second Pitt, connaissant toutes les finesses et toutes les ruses de la discussion, remarquable par une exposition claire, une dialectique vive, et l’art d’effrayer les hommes par le dédain, la vanité et l’intérêt ; — O’Connell, qui semble guider l’armée radicale et ne représente en réalité que l’Irlande. Toute la force de la position d’O’Connell est là : son pays le préoccupe toujours ; toujours il achète les conquêtes politiques de l’Irlande, en sacrifiant le parti anglais dont il passe pour le chef. Suivi de sa queue irlandaise (O’Connell’s tail), et bien servi par le poète Shiel, son compatriote, orateur véhément, il occupe au parlement une place intermédiaire ; selon l’occasion, transportant son armée mobile sur tous les points qu’il veut protéger, il décide, par ce mouvement, les questions importantes. On connaît sa trivialité énergique, ses violences inattendues, l’intarissable énergie de sa faconde, et le mélange d’adresse et de brutalité, de méta-