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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

Quittons une poésie qui faiblit, un drame qui s’éclipse. Place au géant littéraire de la Grande-Bretagne et de l’Europe, au roman. Là se réfugient tous les talens avides de gloire ; toutes les étincelles éparses de style et de sensibilité se groupent et se pressent autour de ce dernier sanctuaire. Qu’est-ce que le roman ? une forme, pas même une forme ; un prétexte, un mot, une excuse. Il a tout absorbé ; les plus basses intelligences s’emparent de lui ; les plus hautes descendent jusqu’à lui. À une certaine époque, toutes les idées se rédigeaient en drame, parce que le drame est action, et que l’Europe agissait, brandissant l’épée, arborant la croix, chantant des sérénades. Aujourd’hui que l’action est affaiblie, et que le rêve domine, vous voyez s’étendre le sceptre du roman, qui est le rêve. Son procédé ductile se prête à tout. On l’a vu histoire, on l’a vu économie politique, on l’a vu satire et biographie ; il deviendra palingénésie, utopie, industrie, commerce, politique. Entassez donc les vapeurs, amenez les nuages, colorez-les de mille arcs-en-ciel, animez-les de tous les prismes ; à travers ces lueurs équivoques et ces ombres rayonnantes, montrez-nous des villes, des harems, des salons, des ermitages, des héros et des armures ; indiquez, à travers ces voiles, je ne sais quels systèmes, dont le soleil lointain rayonne et s’évanouit tour à tour ; faites passer sous l’œil du lecteur le vieux Paris, le vieux Londres, les Flandres insurgées, les républiques italiennes. Rien de plus séduisant pour une époque incertaine, qui ne se connaît pas elle-même, qui adopte tous les principes, rejette toutes les croyances, se joue de toutes les clartés et de toutes les ombres, et trouve une volupté dans ce crépuscule coloré qui l’environne.

Il y avait long-temps que l’Angleterre était fière de ses romanciers ; leur investigation de la vie privée et du caractère humain suivait, avec un mélange singulier de profondeur, de grace et de minutie, la route de l’observation shakspearienne. Byron lui-même, craignant l’indifférence du lecteur, avait mêlé l’intérêt du conte au coloris et à la verve de l’ode. Walter Scott, infidèle à l’épopée chevaleresque, n’avait plus écrit, depuis sa trentième année, que des fictions en prose. Après eux, tout fut roman. Ce goût de dissection et de recherche détaillée, si nuisible au drame et à la poésie pure, n’exerçait pas sur le roman la même influence fatale. Qu’il observât de près les caractères, qu’il choisît une section de la société, un recoin de l’existence humaine, une fraction imperceptible de nos sentimens, pour les reproduire et les commenter, c’était son droit il se jeta donc à la fois dans tous les sentiers de son investigation favorite, et sa dé-