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licitudes du parlement, a voulu s’épurer, et a continué son agonie. Si vous visitez le théâtre d’où l’excellent acteur Macready vient de chasser les beautés vénales qui le peuplaient autrefois, vous êtes surpris et attristé de ce silence et de cette solitude. Prenez place : vous assisterez à la représentation de quelque tragédie bourgeoise, plus sentimentale que lugubre, sans vraisemblance dans la fiction, sans énergie dans le dialogue, bien écrite cependant, mais pleine de ces analyses romanesques, de ces développemens langoureux et de ces gémissemens élégiaques, dont la perfection même serait ici un défaut et un signe de mort.

Telle est la marche du théâtre en Angleterre : — la vie, l’organisme, la verve, la puissance, sous Shakspeare ; — l’exagération, la folie, l’extravagance, sous Charles II ; — le sérieux doctoral et les larmes bourgeoises sous les Georges ; — la recherche des formes littéraires sous lord Byron ; — aujourd’hui, le raffinement de la métaphysique sentimentale. — C’est le dernier période et la suprême faiblesse.

Après le Bertram de Maturin, les pièces de Sheridan Knowles sont celles qui ont joui du succès le plus populaire. Bertram n’est pas une pièce, mais un magasin de cuirasses, d’épées, de fantômes, de lunes, de chaînes, de donjons et de machicoulis ; tout l’attirail matériel des Radcliffe ; la défroque de la terreur. Je ne connais rien de plus atroce et de plus sot que cette poésie criarde qui résonne dans une pensée creuse, et qui trouve pour échos les rochers, les cavernes et les voûtes des châteaux anciens. Bertram a pourtant excité l’admiration, même en France. Sheridan Knowles ne relève pas d’Anne Radcliffe et de Lewis, mais de Wordsworth ; ses drames ont plus de valeur poétique et moins de valeur dramatique.

Affirmez-vous que le drame actuel de l’Angleterre ne manque pas de mouvement ? Mouvement physique, matériel, grossier ; mauvaise parodie de l’Espagne ; mouvement emprunté au hasard, qui ne contient ni enseignement, ni logique. L’intrigue, charpente osseuse de l’art dramatique, trahit en général une fabrication maladroite ; elle n’est pas la réalisation d’une idée, mais le mélange d’accidens fortuits, appât de la curiosité. Sur ce canevas flottent au hasard les nuées d’une poésie qui prétend au pathétique, et n’atteint que la déclamation. Écoutez l’Edinburgh Review. « Notre théâtre touche à la dernière crise de sa longue agonie. On sacrifie tout à un ou deux rôles créés par les acteurs à la mode, et, dans les pièces qui réussissent, vous ne découvrez que ridicule affectation, exagération