Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/671

Cette page a été validée par deux contributeurs.
667
DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

peare et Spenser, cette époque de résurrection littéraire, annoncée par Lewis, auteur du Moine, par Crabbe et Cowper, continuée par Walter Scott et Byron, essaie de former son drame sur le modèle des grands auteurs du XVIe siècle. Vaine étude ! le secret du génie dramatique échappe à Byron, à Walter Scott, à Coleridge, à Lamb, à Lewis ; la fée endormie ne s’éveille pas. Le Bertram de Maturin est un mélodrame ; toutes les pièces de Byron n’ont qu’un seul personnage, lord Byron, et restent suspendues entre le dithyrambe et l’élégie. Il y a de belles pages dans le Fazio de Milman et dans sa Destruction de Jérusalem. Mistriss Baillie écrit des tragédies qui, manquant de mouvement, sont quelquefois éloquentes. Tout ce drame est privé de réalité, de vie, et par conséquent de durée. Le Sardanapale de Byron, comme la Vengeance de Coleridge, n’ont de prix et d’intérêt qu’à la lecture.

La société anglaise s’est éloignée du théâtre par des motifs nombreux et singuliers. Les foyers des spectacles, où se rassemblaient depuis long-temps le vice et la corruption de la capitale, mettaient en fuite les gens honnêtes, les pères de famille, et tous ceux qui, sans adopter la vertu comme règle, choisissent la décence comme masque. L’heure du dîner, se confondant avec l’heure du souper antique, ne permettait plus aux classes supérieures de venir assister aux premières pièces. Pendant que les hommes graves et dévots blâmaient l’abomination des théâtres, et flétrissaient de leur anathème quiconque fréquentait ces lieux maudits, l’aristocratie professait un grand dégoût pour la turbulence du parterre et les cris forcenés de la galerie (half-price gallery). On cherchait des jouissances plus intimes et plus littéraires, ou des plaisirs moins ostensiblement dépravés. Le roman vous ouvrait sa scène multiple, qui charmait votre coin du feu, et vous laissait à la fois paisible et ému. Le joueur, l’homme politique, le marchand, l’officier, fréquentaient leur club favori. La soirée, qui prenait le nom de thé (tea-party) ; la cohue du bal, qui s’intitulait, déroute (rout), séduisaient la coquetterie des femmes, et leur promettaient des succès moins diffamés. Je me souviens d’une époque où toute une partie de la population parlait d’aller au spectacle (going to the play), comme on parle d’une débauche : c’était cependant alors que mistriss O’Neill régnait sur la scène, dernière gloire du théâtre de Shakspeare. Il est vrai que l’on ne pouvait pénétrer à Covent-Garden et à Drury-Lane sans croire entrer dans ce temple de Babylone où la Volupté nue tenait ses orgies. Entraîné par toutes ces causes de décadence, le drame, vainement étayé par les enquêtes et les sol-