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n’ont pas respiré une atmosphère de moralité et de vérité ; que c’étaient des esprits de travers, ou des gens de mœurs dissolues, ou des cœurs dépravés. Coup d’œil ingénument profond de Shakspeare, instinct de sagacité dont rien n’approche, qu’êtes-vous devenus !

Sous Jacques II et Guillaume, les habitudes du peuple s’épurent et se forment à la vie sérieuse. On essaie un drame sérieux, pathétique, celui d’Otway et de Lillo ; là vit toute l’éloquence de la passion dans ses paroxismes et du malheur à son dernier terme ; mais ce ne sont ni les nuances, ni les finesses, ni les diversités tragiques et comiques de la vie. Avec Otway commence la troisième époque du drame anglais, tourné désormais au sérieux, voué au noir, bourgeois avec Lillo, satirique avec Foote et Garrick ; intéressant chez Cumberland et Colman ; toujours gourmé et empesé ; souvent quaker ou puritain ; parfaitement ennuyeux dans les tragédies de Rowe, de Walpole et de Jonson. L’habitude et le besoin du théâtre survivent à la sève dramatique ; les meilleurs esprits, Adisson, Steele, Young, ne s’en aperçoivent pas, et l’on continue à créer ces avortons, qui se tiennent à peine debout quelques momens sur les planches de Drury-Lane. Le froid Caton d’Adisson usurpe l’admiration de Voltaire. L’Irène ampoulée de Jonson se fait respecter par les auditeurs, qu’elle frappe de léthargie ; Aaron Hill imite maladroitement Zaïre. Le théâtre anglais se traîne péniblement, jusqu’au jour où une moqueuse intelligence s’aperçoit que les premières assises de cette société renferment un vice : l’hypocrisie. Cet homme unique fut Sheridan.

Le compromis, le pacte, ou (comme disent les commerçans) la « cote mal taillée, » de 1688, avait forcé tout le monde à mentir et à se soumettre à une rigueur apparente, extérieure, de pensées et de conduite. Le gouvernement lui-même et la société mentaient, en supposant une harmonie de pouvoirs qui n’existait pas. L’air caffard et les scrupules affectés étaient entrés dans les salons ; le ton de l’élégie morale et le drame sérieux se faisaient passage au théâtre. Tartuferie d’une nation : belle satire ! Sheridan l’exécuta. Bonne comédie ! il jeta la comédie dans la satire. Symptôme d’une époque nouvelle ! Sheridan l’annonça par son School for Scandal, exception, phénomène, singularité, produit unique, mais excellent.

Le glas de la révolution française sonne, et tous les peuples s’ébranlent. La richesse publique s’est accrue, la poésie secoue ses ailes, l’énergie intime de la nation retrouve cette puissance et cette audace qui ont déjà brillé sous Élisabeth. Éprise d’amour pour Shaks-