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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

par une classification artificielle, cette vaste émotion de la poésie, et confondant le procédé arbitraire de la science avec la voix de l’inspiration.

Ebenezer Elliott eut plus de prise sur les passions populaires ; il s’adressait à leurs intérêts les plus âpres ; tout en reconnaissant la suprématie de l’industrie, il disait les souffrances que cette nouvelle conquête de la matière entraîne après elle. Pourquoi donner au pamphlet du publiciste la tournure et le mètre de Dryden ou de Churchill ? Bien qu’un mélange de satire et d’élégie tempérassent la gravité des matières, ce n’étaient toujours en définitive que Cobbett ou Burke versifiés. On se lassa bientôt de ce mélange qui surprenait d’abord ; on renvoya la prose à son devoir habituel, à la gestion des affaires, à la discussion des intérêts ; on reconnut qu’un talent de ce genre, essentiellement didactique et polémique, perd quelque chose de sa gravité en obéissant au rhythme et à la césure ; on préféra encore à cette confusion des attributs et des emplois de l’esprit, la netteté de leur attitude et l’isolement de leurs forces.

Ainsi s’appauvrissait, vous le voyez, la sève poétique. Elle courait rapidement vers les sables tumulaires, dans lesquels se perd toute poésie ; ses imperceptibles filets allaient se ramifiant et se subdivisant tous les jours ; elle obéissait, non plus à une théorie générale, comme sous le règne de Wordsworth, mais à une foule de petites théories particulières, qui n’embrassaient ni la nature ni l’homme. Les femmes, mêlant leur finesse et leur habileté d’imitation à cette facilité d’émotion qui les distingue et qui ressemble toujours à la poésie, aggravèrent le mal. Toute nuance de sensibilité eut son ode ; chaque pensée de mère ou d’amante donna son élégie ; un regret se tourna en sonnet, et un espoir devint chanson. Toutes ces petites voix mélodieuses gazouillaient ensemble dans la volière de la société anglaise, qui, ne pouvant établir de différence entre elles, prit le parti de les admirer à la fois : aussi leur gloire ne fut-elle pas même viagère, et je crains que plusieurs noms qui flottent encore, pour ainsi dire, à la surface de la renommée, n’aillent bientôt rejoindre les noms, célèbres il y a vingt ans, de miss Seward, de miss Porden et de Rosa Matilda. L’excessive facilité d’un rhythme iambique et d’une rime à peine indiquée, la richesse du dictionnaire anglais, qui offre presque toujours l’expression latine-normande à côté du mot saxon-teutonique ; le lieu-commun des images élégiaques, familières aux poètes du Nord, tout appelait les jeunes imaginations et les jeunes cœurs à se faire poètes, et à essayer à leur tour une harpe qui résonnait