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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

détroit, et ramené l’Angleterre dans la commune république des peuples modernes. Elle perd son originalité et se tourne vers la France et l’Allemagne. Toutes ses âpres saillies s’aplanissent. Elle n’a plus, dans les hautes régions du moins, ni lugubre humeur, ni anti-gallicanisme forcené. La caricature a limé ses dents : au lieu de mordre, elle sourit. La populace de Londres s’est civilisée. Mme Sand et M. Hugo sont acceptés ; on traduit les romans français, et une Revue spéciale ne vit que des débris de nos Revues morcelées. C’est dans la littérature surtout que se manifeste cette alliance du génie britannique et des forces étrangères. Sa poésie languissante, son drame énervé, sa philosophie empruntée, son roman de fabrique, vont chercher ailleurs une sève qui les fortifie. Ils offrent rarement aujourd’hui cette saveur britannique, ce caractère national, d’un goût quelquefois équivoque, mais toujours puissant, qui signalait les grandes époques littéraires de ce pays. Il n’est pas de l’orgueil anglais d’avouer un tel affaissement, il n’est pas en son pouvoir de le cacher.

Sur les bords d’un lac du Westmoreland, dans une solitude enchantée, vivent deux écrivains vieux et célèbres, et qui sont les monumens de la génération littéraire précédente : Southey, Wordsworth. À Édimbourg, le professeur Wilson, qui dirige le Blackwood’s Magazine, appartient à la même race. Londres voit errer dans ses salons quelques ombres vivantes de ce monde plein de génie : Thomas Moore, Edgerton Brydges, Leigh Hunt, tous amis ou adversaires des Byron, des Scott, des Coleridge, des Lamb, des Hazlitt, des Crabbe, des Mackintosh et des Bentham. — Mais où sont ces derniers ? — La génération nouvelle a-t-elle leurs analogues ou leurs équivalens ? Le contraire est certain. Entre les années 1790 et 1820, le génie anglais, excité à la fois par la terreur et la victoire, par les péripéties d’une puissance chanceuse et l’incertitude d’une splendeur née d’efforts surhumains ; violemment secoué par les craintes, les passions, les espérances d’une lutte acharnée, fit jaillir à la fois tous ses fruits. Il eut de grands poètes, de grands historiens, de grands orateurs. Le regret du passé et le mécontentement du présent se résumèrent en deux expressions européennes : Walter Scott fut l’homme d’autrefois ; il laissa Byron régner dans l’autre sphère. Tous les genres, le drame excepté, furent féconds en œuvres excellentes ; j’excepte le drame ; il avait donné toute sa récolte sous Shakspeare, et c’est une des lois fatales du théâtre, de ne porter qu’une seule moisson dans la vie d’un peuple.

Mais ailleurs que d’énergies diverses éclataient à la fois ! Com-