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L’ABBESSE DE CASTRO.

Le lendemain, Jules, qui ne voulut pas sortir de sa chambre, envoya demander au prince la permission de retourner à la Petrella, et de ne pas le voir de quelques jours. Mais on vint lui rapporter que le prince avait disparu, ainsi que ses troupes. Dans la nuit, il avait appris la mort de Grégoire XIII ; il avait oublié son ami Jules et courait la campagne. Il n’était resté autour de Jules qu’une trentaine d’hommes appartenant à l’ancienne compagnie de Ranuce. L’on sait assez qu’en ce temps-là, pendant le siége vacant, les lois étaient muettes, chacun songeait à satisfaire ses passions, et il n’y avait de force que la force ; c’est pourquoi, avant la fin de la journée, le prince Colonna avait déjà fait pendre plus de cinquante de ses ennemis. Quant à Jules, quoiqu’il n’eût pas quarante hommes avec lui, il osa marcher vers Rome.

Tous les domestiques de l’abbesse de Castro lui avaient été fidèles ; ils s’étaient logés dans les pauvres maisons voisines du couvent de Sainte-Marthe. L’agonie de Grégoire XIII avait duré plus d’une semaine ; la signora de Campireali attendait impatiemment les journées de trouble qui allaient suivre sa mort pour faire attaquer les derniers cinquante pas de son souterrain. Comme il s’agissait de traverser les caves de plusieurs maisons habitées, elle craignait fort de ne pouvoir dérober au public la fin de son entreprise.

Dès le surlendemain de l’arrivée de Branciforte à la Petrella, les trois anciens bravi de Jules, qu’Hélène avait pris à son service, semblèrent atteints de folie. Quoique tout le monde ne sût que trop qu’elle était au secret le plus absolu, et gardée par des religieuses qui la haïssaient, Ugone, l’un des bravi, vint à la porte du couvent, et fit les instances les plus étranges pour qu’on lui permît de voir sa maîtresse, et sur-le-champ. Il fut repoussé et jeté à la porte. Dans son désespoir cet homme y resta, et se mit à donner un bajoc (un sou) à chacune des personnes attachées au service de la maison qui entraient ou sortaient, en leur disant ces précises paroles : Réjouissez-vous avec moi ; le signor Jules Branciforte est arrivé, il est vivant : dites cela à vos amis.

Les deux camarades d’Ugone passèrent la journée à lui apporter des bajocs, et ils ne cessèrent d’en distribuer jour et nuit, en disant toujours les mêmes paroles, que lorsqu’il ne leur en resta plus un seul. Mais les trois bravi, se relevant l’un l’autre, ne continuèrent pas moins à monter la garde à la porte du couvent de Sainte-Marthe, adressant toujours aux passans les mêmes paroles suivies de grandes salutations : Le seigneur Jules est arrivé, etc.