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ont fait. Toutes les religieuses sont interrogées sur le nom de l’auteur du crime ; la plupart répondent avoir ouï dire que c’est monseigneur l’évêque. Une des sœurs portières rapporte les paroles outrageantes que l’abbesse avait adressées à l’évêque en le mettant à la porte de l’église. Elle ajoute : « Quand on se parle sur ce ton, c’est qu’il y a bien long-temps que l’on fait l’amour ensemble. En effet, monseigneur l’évêque, ordinairement remarquable par l’excès de sa suffisance, avait, en sortant de l’église, l’air tout penaud. »

L’une des religieuses, interrogée en présence de l’instrument des tortures, répond que l’auteur du crime doit être le chat, parce que l’abbesse le tient continuellement dans ses bras et le caresse beaucoup. Une autre religieuse prétend que l’auteur du crime devait être le vent, parce que les jours où il fait du vent l’abbesse est heureuse et de bonne humeur ; elle s’expose à l’action du vent sur un belvéder qu’elle a fait construire exprès ; et, quand on va lui demander une grace en ce lieu, jamais elle ne la refuse. La femme du boulanger, la nourrice, les commères de Montefiascone, effrayées par les tortures qu’elles avaient vu infliger à César, disent la vérité.

Le jeune évêque était malade ou faisait le malade à Ronciglione, ce qui donna l’occasion à ses frères, soutenus par le crédit et par les moyens d’influence de la signora de Campireali, de se jeter plusieurs fois aux pieds du pape, et de lui demander que la procédure fût suspendue jusqu’à ce que l’évêque eut recouvré la santé. Sur quoi le terrible cardinal Farnèse augmenta le nombre des soldats qui le gardaient dans sa prison. L’évêque ne pouvant être interrogé, les commissaires commençaient toutes leurs séances par faire subir un nouvel interrogatoire à l’abbesse ; un jour que sa mère lui avait fait dire d’avoir bon courage et de continuer à tout nier, elle avoua tout.

— Pourquoi avez-vous d’abord inculpé Jean-Baptiste Doleri ?

— Par pitié pour la lâcheté de l’évêque ; et d’ailleurs, s’il parvient à sauver sa chère vie, il pourra donner des soins à mon fils.

Après cet aveu, on enferma l’abbesse dans une chambre du couvent de Castro, dont les murs, ainsi que la voûte, avaient huit pieds d’épaisseur : les religieuses ne parlaient de ce cachot qu’avec terreur, et il était connu sous le nom de la chambre des moines ; l’abbesse y fut gardée à vue par trois femmes.

La santé de l’évêque s’étant un peu améliorée, trois cents sbires ou soldats vinrent le prendre à Ronciglione, et il fut transporté à Rome en litière ; on le déposa à la prison appelée Corte Savella. Peu de jours après, les religieuses aussi furent amenées à Rome ; l’abbesse