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L’ABBESSE DE CASTRO.

pérait la sauver, il était nécessaire qu’elle eût deux confidentes dans le couvent.

— Une femme comme vous, à la bonne heure, mais une de mes égales ! non ; sortez de ma présence.

La sage-femme se retira. Mais, quelques heures plus tard, Hélène, ne trouvant pas prudent de s’exposer aux bavardages de cette femme, fit appeler le médecin, qui la renvoya au couvent où elle fut traitée généreusement. Cette femme jura que même, non rappelée, elle n’eût jamais divulgué le secret confié ; mais elle déclara de nouveau que, s’il n’y avait pas dans l’intérieur du couvent deux femmes dévouées aux intérêts de l’abbesse et sachant tout, elle ne pouvait se mêler de rien. (Sans doute elle songeait à l’accusation d’infanticide.) Après y avoir beaucoup réfléchi, l’abbesse résolut de confier ce terrible secret à madame Victoire, prieure du couvent, de la noble famille des ducs de C…, et à madame Bernarde, fille du marquis P…. Elle leur fit jurer sur leurs bréviaires de ne jamais dire un mot, même au tribunal de la pénitence, de ce qu’elle allait leur confier. Ces dames restèrent glacées de terreur. Elles avouent, dans leurs interrogatoires, que, préoccupées du caractère si altier de leur abbesse, elles s’attendirent à l’aveu de quelque meurtre. L’abbesse leur dit d’un air simple et froid :

— J’ai manqué à tous mes devoirs, je suis enceinte.

Madame Victoire, la prieure, profondément émue et troublée par l’amitié qui, depuis tant d’années, l’unissait à Hélène, et non poussée par une vaine curiosité, s’écria les larmes aux yeux :

— Quel est donc l’imprudent qui a commis ce crime ?

— Je ne l’ai pas dit même à mon confesseur ; jugez si je veux le dire à vous !

Ces deux dames délibérèrent aussitôt sur les moyens de cacher ce fatal secret au reste du couvent. Elles décidèrent d’abord que le lit de l’abbesse serait transporté de sa chambre actuelle, lieu tout-à-fait central, à la pharmacie que l’on venait d’établir dans l’endroit le plus reculé du couvent, au troisième étage du grand bâtiment élevé par la générosité d’Hélène. C’est dans ce lieu que l’abbesse donna le jour à un enfant mâle. Depuis trois semaines la femme du boulanger était cachée dans l’appartement de la prieure. Comme cette femme marchait avec rapidité le long du cloître emportant l’enfant, celui-ci jeta des cris, et, dans sa terreur, cette femme se réfugia dans la cave. Une heure après, madame Bernarde, aidée du médecin, parvint à ouvrir une petite porte du jardin, la femme du boulanger sortit rapi-