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besoin de développement que la nécessité inflige à tous les êtres. Chaque chose veut être parce qu’elle doit être. Ce qui n’a pas la force de vouloir est destiné à périr, depuis l’homme sans cœur jusqu’au brin d’herbe privé des sucs nourriciers. Ô mon père ! toi qui étudies les secrets de la nature, incline-toi devant la force ! Vois, dans tout, quelle âpreté d’envahissement, quelle opiniâtreté de résistance ! comme le lichen cherche à dévorer la pierre ! comme le lierre étreint les arbres, et, impuissant à percer leur écorce, se roule à l’entour comme un aspic en fureur ! Vois le loup gratter la terre et l’ours creuser la neige avant de s’y coucher. Hélas ! comment les hommes ne se feraient-ils pas la guerre, nation contre nation, individu contre individu, comment la société ne serait-elle pas un conflit perpétuel de volontés et de besoins contraires, lorsque tout est travail dans la nature, lorsque les flots de la mer se soulèvent les uns contre les autres, lorsque l’aigle déchire le lièvre, et l’hirondelle le vermisseau, lorsque la gelée fend les blocs de marbre et que la neige résiste au soleil ? Lève la tête ; vois ces masses granitiques qui se dressent sur nous comme des géans, et qui, depuis des siècles, soutiennent les assauts des vents déchaînés ! Que veulent ces dieux de pierre qui lassent l’haleine d’Éole ? pourquoi la résistance d’Atlas sous le fardeau de la matière ? pourquoi les terribles travaux du cyclope aux entrailles du géant et les laves qui jaillissent de sa bouche ? C’est que chaque chose veut avoir sa place et remplir l’espace autant que sa puissance d’extension le comporte ; c’est que, pour détacher une parcelle de ces granits, il faut l’action d’une force extérieure formidable ; c’est que chaque être et chaque chose porte en soi les élémens de la production et de la destruction ; c’est que la création entière offre le spectacle d’un grand combat, où l’ordre et la durée ne reposent que sur la lutte incessante et universelle. Travaillons donc, créatures mortelles, travaillons à notre propre existence ! Ô homme ! travaille à refaire ta société, si elle est mauvaise ; en cela tu imiteras le castor industrieux qui bâtit sa maison. Travaille à la maintenir, si elle est bonne ; en cela tu seras semblable au récif qui se défend contre les flots rongeurs. Si tu t’abandonnes, si tu laisses à la chimère du hasard le soin de ton avenir, si tu subis l’oppression, si tu négliges l’œuvre de ta délivrance, tu mourras dans le désert comme la race incrédule d’Israël. Si tu t’endors dans la lâcheté, si tu souffres les maux que l’habitude t’a rendus familiers, afin d’éviter ceux que tu crois éloignés, si tu endures la soif par méfiance de l’eau du rocher et de la verge du prophète, tu mérites que