Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/608

Cette page a été validée par deux contributeurs.
604
REVUE DES DEUX MONDES.

bitement si je suis coupable. » Et il communia aux acclamations du peuple. Puis, se tournant vers l’empereur : « Faites, mon fils, lui dit-il, ce que vous m’avez vu faire ; prenez cette autre partie de l’hostie, afin que cette preuve de votre innocence ferme la bouche à tous vos ennemis et m’engage à être votre défenseur le plus ardent. » À cette proposition inattendue, Henri se troubla, et, après avoir conféré quelques instans avec ses amis, il demanda que cette terrible épreuve fût remise au jour de la diète générale. Le pape y consentit.

L’indignation fut vive en Italie contre l’empereur : on ne pouvait lui pardonner d’avoir si fort abaissé la puissance royale, et quand il reprit la route de Reggio, il fut obligé de camper hors des villes, qui refusaient de lui ouvrir leurs portes. Cet abandon et ce mépris lui inspirèrent sur sa conduite un repentir amer, et tout à coup, passant à une autre extrémité, il rompit avec le pape, et même chercha à s’emparer de sa personne par surprise. Mais sa ruse échoua, et n’eut d’autre effet que d’empêcher Grégoire de se rendre à Augsbourg. Aussi les affaires de l’Allemagne prirent un autre cours ; les princes germains, fatigués de la conduite de Henri, élurent définitivement pour roi Rodolphe de Souabe, et l’anarchie fut complète. À la grande surprise des Saxons, Grégoire résolut de ne se prononcer ni pour l’un ni pour l’autre des deux rois ; il persévéra dans son projet de venir en Allemagne pour juger lui-même lequel des deux avait droit à l’empire. Les Saxons firent éclater leur mécontentement. « Nous savons, très saint père, écrivirent-ils au pape, que vous n’agissez que dans des intentions louables et par des vues profondes ; mais comme nous sommes trop grossiers pour les pénétrer, nous nous contentons de vous exposer que ce ménagement des deux partis a pour résultats la guerre civile, le meurtre, le pillage, l’oppression des pauvres, la spoliation des biens ecclésiastiques, l’abolition des lois divines et humaines. » Grégoire répondit pour se justifier, et il y eut entre lui et les Saxons de nombreuses négociations. Henri, de son côté, après de puissans préparatifs contre Rodolphe, lui avait livré une bataille qui, malgré une issue douteuse, avait un peu relevé sa fortune.

L’Allemagne n’occupait pas seule la pensée de Grégoire VII ; il donnait aussi ses soins au reste de l’Europe. Il était en correspondance avec le roi de Danemark, avec Alphonse, roi de Castille ; il s’occupait du clergé de France, et adressait à Philippe Ier d’assez vives remontrances. Mais en Angleterre il rencontrait une résistance dont il ne put triompher ; car, tout en protestant de son respect pour le pape, Guillaume-le-Conquérant défendait au clergé anglais de cor-