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pas de se mettre aux prises avec la société européenne, pour la changer au moyen de la réforme de l’église ? Au surplus, il ne veut pas qu’on le regarde comme un novateur aventureux et fantasque ; il proteste qu’il ne fait que promulguer les antiques prescriptions des pères de l’église. Je ne parle pas d’après mon sens individuel, écrit-il à l’archevêque de Cologne, non de nostro sensu exsculpimus. C’était le mot d’un politique, car, dans les affaires humaines, il faut se garder des caprices, même quand ces caprices auraient un air de grandeur.

Henri IV songeait toujours à se venger des Saxons : il était parvenu à rassembler une armée nombreuse, et il put enfin goûter le plaisir de la victoire dans les plaines de Hohenbourg. Ce triomphe le rendit arrogant et hautain, et il ne voulut plus reconnaître personne au-dessus de lui, pas même le pape. Il n’avait pas vaincu un peuple belliqueux pour obéir à un prêtre qui n’avait d’autre arme que la parole. Aussi, à la mort de l’évêque de Liége, il nomma, pour lui succéder, Henri, chanoine de Verdun, homme exercé au métier des armes, et dont il attendait des services militaires. Il donna un archevêque au Milanais, qui déjà en avait deux, et Milan se trouva posséder trois pontifes, comme Rome trente ans auparavant. Toutefois Henri ne voulait pas engager une lutte ouverte avec le pape, tant qu’il n’avait pas entièrement soumis les Saxons. Aussi il entama avec Grégoire une correspondance pour lui donner, pendant quelque temps encore, le change sur ses desseins. Les Saxons affaiblis, non moins par leurs divisions que par leur défaite, consentirent, pour obtenir la paix, aux plus humiliantes conditions. On éleva dans la plaine d’Ébra un trône, où Henri vint prendre place pour recevoir la soumission des princes de Saxe et de Thuringe, désarmés et captifs. Ces malheureux chevaliers furent confinés dans des forteresses lointaines, et leurs domaines partagés entre les vainqueurs. L’armée impériale se répandit dans les villes et les châteaux de la Saxe. C’est alors que l’empereur, délivré de toute inquiétude, crut pouvoir se passer de ménagemens envers Rome. Il nomma précipitamment un évêque à Bamberg, avant que le prédécesseur du nouvel élu eût été jugé suivant les lois ecclésiastiques ; il donna l’anneau abbatial à des clercs que n’avait pas désignés l’élection des chapitres. Enfin, il demanda au pape de déposer les évêques qui avaient pris les armes contre lui. De leur côté, les Saxons avaient, à l’insu de Henri, fait parvenir leurs plaintes au saint-siége ; ils accusaient le roi de ne songer qu’à la chasse et aux plus licencieux plaisirs, de consulter sur le choix des évêques et des abbés des prêtres dissolus et des femmes