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Constantinople, qui, du même coup, abdique le protectorat de l’Italie et reconnaît une force politique supérieure à la sienne. Le successeur de Zacharie, deux ans après la consultation pontificale qui conférait à l’Austrasien le droit et la légitimité, passe les Alpes, et se prosterne devant Pépin, qui, par un juste retour, lui tend la main, promet de traverser les monts pour son service, se fait sacrer par lui une seconde fois, tient son serment, lui donne vingt-deux villes et l’établit prince temporel. Noble échange ! Ces deux hommes se prêtent l’un à l’autre ce dont ils ont besoin : l’un emprunte de la force et se confirme par des ressources positives dans sa spiritualité ; l’autre, sous le casque et la cuirasse, reçoit le sacre de la religion, l’investiture sociale, et il résulte de ce grand contrat que le pape est puissant et le roi légitime.

Dans Charlemagne il y a deux parts à faire, celle de l’Allemand, du Franc indomptable et passionné, pour qui la guerre contre le Saxon est un plaisir dont il ne peut se rassasier, qu’une attraction irrésistible appelle au-delà du Rhin, qui ne se plaît que sur les rives de ce fleuve ou sur celles du Danube, qui a besoin de faire des chrétiens de par le fer et le sang, et de courber les peuples du Nord devant la croix de Clovis ; puis celle de l’homme qui appartient aussi au reste de l’Europe, qui se doit non-seulement au Nord, mais au Midi, non-seulement à la Saxe, mais à l’Espagne, non-seulement aux Avares de la Raab, mais à l’Italie, que la main de Dieu rappelle au centre, à Rome, pour le rattacher au passé du monde et le sacrer empereur romain. Suivons les actions de Charles : nous le verrons sur les bords du Rhin, du Danube, de l’Elbe, du Weser, parce qu’il s’y est porté de son propre mouvement ; il y propage le christianisme par l’épée, c’est-à-dire à la manière de Mahomet, et la cause de l’Évangile ne se montre pas moins impitoyable que l’islamisme. Voilà l’œuvre que l’homme d’Ingelheim et d’Aix-la-Chapelle comprend et affectionne par-dessus tout ; c’est un Franc qui hait les Saxons, c’est un Allemand chargé d’apporter aux peuples du Nord le baptême de sang. S’il s’engage dans les Pyrénées, il y a été provoqué ; son cœur ne l’y appelait pas. S’il détruit la monarchie des Lombards, c’est Didier qui l’y contraint par ses perfides imprudences ; s’il accepte la couronne impériale, c’est le pape qui va le chercher à Paderborn pour le mener à l’autel de Saint-Pierre.

Combien il était naturel au successeur de Grégoire, de Zacharie et d’Adrien, de songer à transporter, de la tête des indignes héritiers de Constantin sur celle du roi des Francs, le nom et la puissance